Vincent Perez et Karine Silla nous parlent d’« Une affaire d’honneur » !

Aujourd’hui, rencontre avec l’acteur-réalisateur Vincent Perez et son épouse, la scénariste Karine Silla, pour un échange passionnant autour de leur nouveau film,Une affaire d’honneur, l’un de mes coups de cœur du dernier Festival International du Film d’Histoire de Pessac !

Commençons par vos recherches pour préparer le film. À une époque où on questionne l’idée de fictionner la réalité, et surtout l’Histoire, quelle est votre vision sur cette question ?

Karine Silla – À partir du moment où on est au Cinéma, il y a déjà une part de fiction, ce n’est pas un documentaire (…).

Il y a des libertés de fiction qu’on s’autorise, heureusement.

Cela permet de s’approcher de l’humain, l’Histoire relate les faits, mais après, il faut faire naître les personnages.

Vincent Perez – Je pense que n’importe quelle lecture est une réinvention par le lecteur.

On peut lire deux faits historiques (même écrits de la même manière) de deux manières différentes, si c’est deux lecteurs différents qui le lisent : chacun projette ensuite sa vérité à lui.

C’est ça que je trouve assez incroyable dans le processus dans lequel je rentre au départ [pour développer un sujet] (…) : je passe des mois à chercher, à essayer de comprendre, à traverser le temps, en fait, pour rentrer en immersion dans une époque, avec sa logique etc.

De toute façon, cela ne sera pas comme ça l’était exactement.

Il y a une part d’interprétation qui fait partie du fantasme que l’on se construit sur un sujet.

J’ai eu la chance de tomber directement sur un document qui m’a beaucoup inspiré, qui a été l’élément déclencheur, on le trouve online (sic) : L’annuaire du duel (…).

[Cet ouvrage] répertorie tous les duels entre 1880 et 1889 (…) avec le nom des témoins, parfois la raison pour laquelle les opposants se sont retrouvés dans cette situation etc.

C’est vraiment étonnant !

Un nom revenait souvent : Tavernier, un certain Tavernier.

(…)

[Il s’agit d’]Adolphe Eugène Tavernier (incarné dans le film par Guillaume Gallienne).

C’était un personnage vraiment très connu, à l’époque.

Il a écrit ce fameux ouvrage génial, merveilleux, qui nous a vraiment inspiré : l’art du duel.

Capture d’écran de Google Books

C’était la référence du tous les duellistes de l’époque : quand on cherchait, quand on se posait des questions sur le comment du pourquoi, comment choisir un témoin, ou encore connaître les 50 manières de combattre au pistolet etc.

On allait piocher dans ce livre-là qui en remplaçait un autre, plus ancien, écrit en 1856.

L’art du duel a une sorte de sonorité, quelque chose de très moderne, très sympa à lire, parce qu’il y a beaucoup d’humour dans le style de l’écriture.

KS – On apprend ce qu’il faut manger, ce qu’il faut porter… c’est extrêmement précis.

VP – Après, il fallait trouver une histoire.

On l’a trouvé grâce à des articles de presse de l’époque.

C’était comme si on allait dans une mine chercher des diamants, des pépites d’or et d’un coup, on trouve Marie-Rose Astié.

Bien sûr, il y a le Maître d’armes. Il y en avait plein.

Mais j’avais envie de pouvoir me projeter dedans, il fallait que ce soit une sorte de héros pour moi, du coup, il fallait l’inventer.

Il s’appelle Lacaze, c’était le nom de mon premier professeur d’escrime au Conservatoire. C’est un petit clin d’œil.

Mais Astié, ça a été une découverte importante !

Comment l’avez-vous découverte ?

Par un article écrit par un certain Massat [incarné par Damien Bonnard], rédacteur au Petit Journal, qui l’a traîné dans la boue… on se moquait d’elle… comme dans le film (…).

C’est un personnage qui a existé, qui a été oublié par l’Histoire.

[Dans le film], on lui offre le duel qu’elle a toujours voulu avoir contre ce Massat.

Le film est un cadeau que vous lui faites à posteriori…

VP – Exactement !

KS – Elle l’a demandé, elle l’a provoqué plusieurs fois !

VP – Elle a même jeté le gant devant lui, elle a tout fait ! Il n’a jamais voulu y aller (…)…

À ma connaissance, il n’y a pas eu de duel entre un homme et une femme.

En revanche, elle a crée la première ligue féminine d’escrime, comme c’est dit dans le film, et elle s’est battue en duel !

Notamment un duel à Waterloo contre une femme : elles se sont battues pour l’honneur de la médecine française contre l’honneur de la médecine américaine (…), un demi-siècle après [la bataille] (…).

Cela s’est réglé au premier sang [première blessure, ndlr], Astié a gagné.

Un dîner a conclu la journée, dans la bonne humeur.

Cela a fait beaucoup de bruit, c’était partout dans la presse !

(…)

Doria Tillier dans le rôle de Marie-Rose Astié de Valsayre (© Guy Ferrandis – 2022 – Gaumont – France 2 Cinéma)

Est-ce que c’est toujours « une affaire d’honneur » alors, ces duels ?

VP – C’est toute la question du film, en fait.

Oui, il fallait que ça reste une question d’honneur.

Où se situe la frontière avec la vengeance ? Qu’est-ce que l’honneur aujourd’hui ?

(…)

Dans l’écriture, on a cherché toute la résonance que ça pouvait avoir avec notre époque.

La question de l’honneur est une question intéressante aujourd’hui : on se pose la question de la dignité, de la réputation, des réseaux sociaux…

KS – On revient d’Asie, à Hong Kong, durant la projection, on [sentait] que l’honneur est quelque chose de très important : par exemple, on nous racontait que si quelqu’un perd la face, tu en fais un ennemi à vie…

(…)

On sent qu’on est à un moment charnière : le duel est officiellement interdit mais il se produit, les autorités ferment un peu les yeux, pas trop, cela dépend des moments…

VP – C’était interdit mais aussi, je dirais, toléré pour une certaine élite, on s’arrangeait… En général, on pouvait s’en sortir en payant le coup, un petit quelque chose pour que ça passe.
(…)

On ressent vraiment deux dimensions dans le film : d’un côté, un début de revendications féministes et de l’autre, les hommes blessés par la défaite de 1870. Vous êtes d’accord avec cela ?

VP – Oui, c’est complètement cela.

Certains personnages ont tous en commun cette humiliante défaite. Une défaite terrible.

Une guerre dont on ne parle pas tant que cela (…) [et qui est] complètement liée à la première et à la seconde guerre mondiale, c’est le début de tout.

Cette guerre perdue en très peu de temps, avec le siège de Paris, puis Sedan… c’est une catastrophe.

C’était intéressant d’explorer cette dignité perdue.

Peut-être que certains personnages comme le mien [Louis Berchère], reconstruisent une forme de virilité, de dignité, de self estime (sic).

Je pense qu’il y a aussi une forme d’addiction chez Berchère, de se retrouver sur le champ de bataille, peut-être qu’inconsciemment, il veut réécrire l’Histoire, peut-être…

(…)

KS – Il y a une dérive, il y a un syndrome post traumatique de la guerre et de la violence, cela devient une forme d’identité chez lui.

Les duels sont très intenses, comment les avez-vous préparés ? On est impressionnés par la bestialité des personnages…

VP – J’ai travaillé avec quelqu’un avec qui je partageais ce rêve je dirais, de faire un film ou on pourrait aller un peu plus loin et explorer le duel, le combat, l’art martial européen.

C’est un genre de film qui a été perdu, chemin faisant…

Le film de cape et d’épée ?

VP – Non, notre western à nous, d’une certaine manière, qu’est le duel, cela s’est terminé avec la deuxième guerre mondiale mais je dirais, qu’en vérité, le dernier soubresaut des duels, c’était dans cette période, dont on raconte l’histoire.

J’ai toujours une sorte de fantasme et je me dis que peut-être, on est passés à côté d’un genre : notre film de western à nous, notre film d’art martial à nous etc.

On a beaucoup travaillé sur les duels avec Michel Carliez, le maître d’armes, que j’ai connu au départ sur Cyrano [de Bergerac (1990) de Jean-Paul Rappeneau].

Je n’avais pas de combat sur [ce film] mais il y avait, surtout, Bill Hobbs (…) !

C’est le grand maître des films anglo-saxons, il nous a quittés, il n’y a pas si longtemps que cela [en 2018, ndlr].

Je suivais tous les entraînements et c’est comme cela que j’ai rencontré Michel Carliez.

Michel Carliez (imdb.com)

[Avec lui], On a travaillé sur La Reine Margot (1993), Fanfan (1992), Le Bossu (1997).

C’est vraiment sur Le Bossu qu’on s’est trouvés, notamment avec le premier combat [du film]. On a donc une certaine connaissance de la pratique. [Nous avons donc] mis tout en place pour que [nous puissions] explorer au maximum le combat.

Mais ça a commencé pour moi, sans lui, à l’écriture, la chorégraphie des combats était écrite, dans le scénario.

(…)

La première scène de combat, cette démonstration devant un public de salon, c’est attesté ?

VP – Y’en avait plein ! (…) Ça se faisait beaucoup (…). Ces rencontres étaient organisées par les journaux de l’époque.

Là, en l’occurrence, c’est Gibiat [homme d’affaires, patron de presse] et Le Petit Journal qui financent, qui sponsorisent cette soirée, où chacun a son champion :

on se rencontre, on invite les gens de la Haute, les gens influents etc. pour leur offrir un moment extraordinaire entre deux maîtres d’armes.

Et les duels faisaient l’objet de comptes-rendus dans la presse !

KS – Oui, en fait, c’est le début des faits divers, et on découvre celui de ces trois femmes massacrées rue Montaigne… qui suscite beaucoup de commentaires… c’est le début de la liberté de la presse.

VP – Ce fait divers, dans l’Histoire de la presse, c’est le premier qui fait vendre du papier.

Il y a donc un élément nouveau dans la presse qui fait vendre du papier, c’est le fait divers.

Et le fait divers c’est quoi ? C’est aussi le duel !

En conséquence, comme les duels allaient bon train, avec la libéralisation de la presse, tous les grands journaux de l’époque avaient leurs salles d’armes, c’est ce qu’on montre dans le film : Le Petit Journal avait sa salle d’armes.

Le Champion qu’on montre [au début], c’est l’un des maîtres d’armes du Petit Journal et de sa salle d’armes, contre celui choisi par Gibiat.

Pour le petite histoire, les journalistes à l’époque, qui étaient impliqués dans un duel, touchaient une prime. C’est pour vous dire à quel point, on l’encourageait !

Il y avait donc un business du duel…

VP – Oui, carrément !

Revenons aux chorégraphies des duels, comment vous y êtes-vous pris pour les imaginer ?

VP – Ils sont écrits donc je les imaginais [bien]. C’est une écriture, le duel : à partir du moment où on peut l’écrire, on peut le filmer.

(…)

Pratiquement tous les duels ont été « filmé avant qu’on les filme », parce qu’il faut d’abord créer le combat (avant de le montrer), avec Michel Carliez, les cascadeurs et certains acteurs (Roschdy ou moi).

On a donc filmé et monté les combats, avant de les tourner (pendant la préparation) et ça, c’est pas mal !

Parce qu’on avait très peu de temps pour tourner le film (39 jours), on était un peu dans l’urgence, et il ne fallait pas qu’on ait le moindre doute.

Il fallait qu’on puisse passer d’un plan à l’autre et savoir exactement ce qu’on voulait, pour pouvoir tourner les plans qu’il fallait : c’est-à-dire parfois 40 plans par jour !

[Dans le film], je voulais éviter qu’il y ait une idée de répétition, parce que [les duels], sont vraiment au cœur, c’est la colonne vertébrale, du scénario.

Il fallait que le récit ne s’arrête pas, qu’il continue à travers le combat, que chaque combat ait sa propre identité. Cela passe par les sons.

Les sons sont très importants : le premier [combat a lieu] sur un sol en bois, qui tambourine, et ça siffle (c’est la beauté du fleuret, qui est souple et qui siffle) et on est à l’intérieur.

(© Guy Ferrandis – 2022 – Gaumont – France 2 Cinéma)

Le second, on est en extérieur et là, les éléments sont importants (comme dans le cinéma asiatique que j’aime beaucoup) : le vent dans les arbres, l’eau, les grillons, les criquets qu’on entend autour…

Cette fois, on se bat à l’épée, elles tintent d’une certaine manière, on dit que les épées chantent (…)… C’est l’idée de la pointe : elle pointe, elle tue, elle s’enfonce…

il y a aussi le pistolet et ça, c’est encore autre chose.

[Les duels] se faisaient beaucoup au pistolet. Parce qu’en fait, beaucoup de gens ne se battaient pas, même si les salles d’armes étaient pleines à craquer !

C’est d’ailleurs dans les salles d’armes qu’on découvre les premiers haltères. Les salles d’armes sont donc les ancêtres des salles de sport !

Les acteurs, vous les aviez en tête dès le début où cela s’est fait progressivement ?

Roschdy est venu dans l’écriture (sic).

Roschdy Zem dans le rôle de Clément Lacaze (© Guy Ferrandis – 2022 – Gaumont – France 2 Cinéma)

Le fait d’avoir vu Roubaix, une lumière [d’Arnaud Desplechin, ndlr] m’a marqué (…) : il n’y a pas beaucoup d’acteurs qui ont son charisme, il a un « truc » à l’écran, d’ailleurs le premier plan du film, c’est un gros plan sur lui, c’est extraordinaire !

On le sent, il est cabossé de l’intérieur, il a un vécu et il véhicule tellement de choses !

Son personnage est assez taiseux et en même temps, on sent des blessures, une vie…

À un moment donné, je voyais que lui, c’était horrible, parce que dans ces cas-là, on se dit : « mais comment on va faire si on n’a pas l’acteur ?… ».

RS – Il inspire cette notion d’honneur, il y a quelque chose de droit, de réserver, de digne dans son personnage.

VP – Et pour Doria, pareil, je ne voyais qu’elle !

C’est bizarre parce que ce n’est pas forcément une actrice vers laquelle je serais allé mais dans l’écriture, à un moment donné, il faut juste écouter son intuition, c’est notre meilleure alliée quand on écrit, quand on réalise un film !

Je ne voyais que [Doria] et personne d’autre !

Elle a une personnalité qui est très proche de la vraie Astié, ell lui ressemble aussi un peu physiquement (vous allez sur la page Wikipédia d’Astié, il y a une gravure d’elle).

Marie-Rose Astié de Valsayre (Wikipédia)

Les combats étaient-ils storyboardés ?

VP – Le duel de fin, oui.

En fait, j’ai dessiné tout le film mais je ne considère pas ça comme un storyboard. J’avais 250 pages de tableaux, de gravures (pour les couleurs, les matières etc), scènes par scènes.

En plus, j’ai dessiné tout le film surtout, du fait de mes expériences passées en tant que réalisateur, pour ne pas perdre mon film rêvé, celui dont je rêvais.

J’ai dessiné pour avoir ça comme référence. J’ai mis des semaines et des semaines (plus de mille dessins !) !

Parce que c’est tellement facile d’oublier le film rêvé, en fait : il y a tellement de gens, tellement d’étapes, ça prend tellement de temps, le montage financier, le truc… on a eu trois « stop and go », il y a eu le Covid…

C’est tellement facile d’oublier ces sensations qui font que vous avez écrit cette histoire-là !

C’est la première fois que [je dessine le film], c’est douloureux, c’est long mais ça vaut la peine !

Un grand merci à Vincent Perez et Karine Silla pour leur disponibilité.

Immense merci également à Frédérique Ballion du Festival International du Film d’Histoire de Pessac, pour son merveilleux accueil.

Pour aller plus loin :

Lire L’annuaire du duel et L’art du duel sur Decalog et Google Books !

Source :

Image d’en-tête : Vincent Perez et son épouse Karine Silla à l’avant première de Mon Inconnue de Hugo Gélin, à Paris, le 1er avril 2019 (Purepeople/© Bestimage)

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