Trois ans après le très apprécié Drive My Car, le cinéaste japonais Ryūsuke Hamaguchi est de retour dans nos salles avec un projet très personnel, inspiré de sa collaboration avec la compositrice Eiko Ishibashi sur Gift, un concert, accompagné d’une projection d’images muettes, qu’il a réalisées.

Ces images furent le point de départ de son nouveau film Le Mal n’existe pas.
« En [les] visionnant, j’ai eu l’impression d’avoir saisi une interaction singulière entre les humains et la nature, et d’avoir assez de matière pour un film de cinéma, indépendant du concert, qui serait lui aussi accompagné par la si belle musique d’Eiko Ishibashi ».
Ainsi, ce rapport fort à la Nature, est posé, dès les premières secondes, au travers d’un superbe travelling en contre-plongée qui traverse une forêt, au son des violons inquiets d’Ishibashi.
Le très taiseux Takumi (Hitochi Okima, photo) vit avec sa petite fille, dans le petit village de Mizubiki, près de Tokyo.
Homme à tout faire de la communauté, il vit en harmonie avec la Nature. Ryusuke Hamaguchi montre cette harmonie en filmant de longues séquences de Takumi, coupant de bois ou constituant ses réserves d’eau, à même la rivière.
La vie s’écoule paisiblement dans ce village, au cœur d’un décor naturel préservé.
Mais pour combien de temps en vérité ?
En effet, la musique inquiète d’Eiko Ishibashi, que j’évoque en début de chronique, laisse présager que l’équilibre, qui régit les rapports entre les habitants et leur environnement, est menacé… menacé par une grosse entreprise qui rêve d’implanter un glamping (mot valise formé des termes « glamour » et « camping »), autrement dit, un camping de luxe.
Mais pas d’inquiétude !
Les promoteurs du projet assurent qu’il n’a que des avantages : il va booster l’économie locale, tout en préservant l’environnement !
Forts de ces arguments, deux représentants de l’entreprise, désireuse de construire ce fameux « camping glamour », sont mandatés pour, d’abord, convaincre les villageois d’adhérer au projet, et surtout, persuader le mystérieux et charismatique Takumi de travailler pour eux…

Les investisseurs sentent bien que ce dernier a une forte influence sur ses concitoyens et concitoyennes…
Le réalisateur Ryūsuke Hamaguchi en profite pour dénoncer la vacuité de ces métiers uniquement centré sur le profit…
Les pauvres représentants échangent longuement sur les manques qui accompagnent leur vie, pendant leur voyage vers Mizubiki… au point que l’un d’eux, Takahashi (Ryûji Kosaka), connaît une véritable révélation existentielle, simplement en coupant du bois !
Hamaguchi souligne aussi la rigidité du président de l’entreprise qui refuse de tenir compte des remarques, pourtant pertinentes, des habitants sur le futur camping (à propos du traitement des eaux usées notamment) pour ne pas retarder le chantier et ainsi risquer de perdre les subventions publiques…
Ce « dogmatisme » présidentiel est illustré par un plan qui montre les employés filmés par une webcam, pour les besoin de la réunion en visio avec leur patron : ils paraissent « enfermés » dans l’écran et dans la vision du projet, prônée par leur employeur…
On est dans un cas typique de « green washing » (donner un aspect écologique à un projet, ou un produit pour mieux le vendre…), une dénonciation d’une écologie, utilisée simplement comme prétexte, et pas véritablement comme un élément moteur d’un nouveau projet…
Le film aurait pu s’arrêter là et se limiter à une dimension militante un peu classique avec une telle thématique en toile de fond… heureusement, il n’en est rien !
Le Mal n’existe pas va au-delà de cela, en nous offrant un final étonnant qui n’a pas fini de vous accompagner et de vous interroger, même bien après la projection… et qui justifie le Lion d’Argent obtenu à la Mostra de Venise !
Sources :
Image d’en-tête : © 2023 NEOPA Fictive
Site spécialisé :
Secrets de tournage, allocine.fr (lien)
