Depuis quelques temps, le Cinéma de genre français connaît un vrai renouveau sous l’impulsion de jeunes réalisatrices et réalisateurs (Julia Ducournau, Mathieu Turi, Sébastien Vanicek…).
Cette fois-ci, c’est la cinéaste Céline Rouzet, venue du documentaire qui s’y essaie en nous proposant une variation envoûtante autour du vampire dans une banlieue (en apparence) tranquille.
Cette histoire est une forme d’hommage à son frère, ainsi qu’elle l’explique au micro de nos camarades du podcast Debriefilm : « j’étais encore en train de développer mon film documentaire, quand un drame a frappé ma famille… cela m’a rempli d’un grand sentiment d’injustice, d’impuissance et de colère, j’en ai eu besoin d’en faire quelque chose.
Ce drame a touché mon frère et je ne savais pas comment le raconter… Et c’est le film de genre qui m’est apparu, le film de vampires, parce que mon frère est né avec une différence (au départ invisible).
Il a beaucoup subi le poids du regard des autres, la persécution, le harcèlement, le rejet des autres…
Quand il était petit, il voyait des vampires qui venait lui parler et il était terrifié par ces créatures… mais, plus il a grandi, plus il a vu des films de vampires, et j’ai alors compris qu’il se sentait proche de ces créatures de l’ombre, incomprises, dont la condition est invisible, au premier regard.
(…)
Un matin, je me suis réveillée en me disant que c’était par le prisme du vampire que j’allais raconter mon frère et cette histoire ».
Pour ce faire, la cinéaste nous place aux côtés de cette famille, lorsqu’elle arrive dans son nouveau lotissement perdu, en pleine montagne… D’entrée, on saisit une étrangeté, cette famille ne donne pas l’impression d’être là par choix, elle paraît être sur le qui-vive…
Pour ne rien arranger, cette banlieue est très classique, presque trop, pour être honnête, si l’on peut dire…
Elle en devient quasiment un protagoniste à part entière, tant son aspect « trop lisse » crée le malaise, comme si ces rues trop tranquilles cachaient quelque chose…
Les nouveaux venus tentent d’y vivre, le plus « normalement » possible, mais on les sent sur le fil du rasoir tout le temps…
La mère (Elodie Bouchez, formidable !) se fait embaucher lors d’une campagne de don du sang pour essayer de récupérer des poches et ainsi, permettre à son fils de se nourrir… elle est constamment habitée par l’angoisse d’être démasquée…
Céline Rouzet cultive cette sensation magistralement, en utilisant des focales longues qui rendent les arrières plans flous, pour signifier que ses personnages sont en permanence « dans le flou », littéralement !
La menace est sourde, omniprésente… elle s’illustre dans une scène de barbecue particulièrement bien menée :
« Je me suis beaucoup amusée [dans cette scène].
Il y a des sourires qui grincent… j’ai travaillé aussi une pause un peu plus longue avant un dialogue, pour montrer ce malaise social, ce jeu des faux semblants. J’aimais l’idée que [Philémon (le jeune vampire) et les siens] soient entourés de « familles Ikéa » et jouent à la famille Ikéa… ».
Cette situation inconfortable renforce la complicité des spectateurs, avec les héros, parce qu’ils connaissent leur secret et comprennent l’enfer qu’il leur fait vivre…
Cela crée aussi une mise en abyme d’acteurs et d’actrices jouant des personnages interprétant, eux-mêmes, des rôles pour mieux se dissimuler en société… un procédé, certes classique, mais toujours intéressant à explorer au Cinéma.
Pour autant, en dépit de tous leurs efforts, Philémon et sa famille ne semblent pas parvenir à dissiper la méfiance du voisinage, ainsi qu’en témoignent plusieurs dialogues, en apparence anodins, mais lourds de sous-entendus…
Heureusement, une lueur surgit dans la nuit : la belle Camila (incarnée par la magnétique Céleste Brunnquell) qui ne laisse pas Philémon insensible…
En cela, Céline Rouzet renoue, pour le meilleur, avec la dimension romantique, presque érotique, du vampire, trop souvent négligée dans la pop culture, au profit des aspects plus gores ou horrifiques, habituellement attribués à ce type de créature, et c’est vraiment appréciable !
Quel plaisir en effet, de voir ces deux personnages dépasser lentement leurs craintes respectives, pour tenter de se découvrir et de se comprendre…
Mathias Legoût Hammond fait forte impression pour ces grands débuts sur Grand Écran : il donne corps avec talent à toute l’ambivalence de son personnage, à la fois fragile et menaçant… car, oui, la menace ne vient pas que de l’extérieur mais elle existe aussi à l’intérieur…
Céline Rouzet signe une œuvre extrêmement subtile et magnifiquement maîtrisée, tant dans son déroulé, que sur le plan technique.
C’est la petite perle qui jaillit parfois, de l’océan de médiocrité qui inonde chaque année, les productions françaises…
Elle vient d’être couronnée du Prix du Jury au festival de Gerardmer, c’est mérité !
Foncez absolument la découvrir, avant qu’elle ne disparaisse, malheureusement bien trop vite, dans la nuit de la programmation des salles françaises…
Pour aller plus loin :
L’intégrale de l’émission de Debriefilm du 27 mai 2024, à écouter ici !
Mise à jour du 19 novembre 2024 : ma rencontre avec Céline Rouzet est à lire ici !
Sources :
Image d’en-tête : © Tandem
Podcast de Debriefilm du 27 mai 2024

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