Nathalie Karsenti nous montre la voix !

Aujourd’hui, c’est jour de sorties mais, pour une fois, nous allons découvrir les coulisses non pas des films… mais de leurs versions françaises grâce à une merveilleuse comédienne de doublage : Nathalie Karsenti.

Elle donne de la voix en tant que Gamora dans Les Gardiens de la Galaxie ou encore en tant qu’Amanda Young dans la saga horrifique Saw.

Et ce n’est pas tout !

Elle forme également les jeunes comédiens et comédiennes à Bordeaux !

Rencontre.

Commençons avec la question classique, comment ta vocation pour le métier de comédienne est-elle venue ?

Depuis toute petite, j’avais envie d’être actrice, je rêvais en regardant Alain Delon et Jean-Paul Belmondo.

J’ai fait le Conservatoire de Nantes et j’ai eu la chance d’être prise sur 200 candidats, il n’en restait plus que 10 ou 12.

Cela a convaincu mes parents qui se sont dits : « tiens, tu as peut-être un petit talent ! ».

Je suis restée trois ans là-bas avec Jacques Couturier [acteur notamment connu pour son rôle du Prince Noir dans la série Thierry la Fronde (1963), ndlr] et puis je suis montée à Paris pour poursuivre ma formation à l’école Florent.

J’ai commencé ensuite par quelques petites expériences au Cinéma.  

L’une d’entre elles m’a beaucoup marquée, à savoir le film Les deux orphelines vampires (1997) dans lequel Jean Rollin m’avait donné le très joli rôle d’une femme louve dans une gare de triage.

Cela m’avait valu un très bel article dans Le Monde, qui disait que cette scène était très très belle : c’est une longue scène séquence très très jolie.

Nathalie Karsenti dans Les deux orphelines vampires (1997) de Jean Rollin (IMDB)

Après cette belle expérience, je me suis retrouvée très vite dans le doublage avec Danielle Perret (une très grande dame du milieu) qui s’est occupée des versions françaises de tous les Expendables, la trilogie du Seigneur des Anneaux etc.

C’est avec elle que j’ai fait le personnage d’Amanda Young |interprétée par l’actrice Shawnee Smith, ndlr] dans les Saw.

Je me souviens qu’elle m’a dit : « t’es vraiment faite pour le doublage ! » donc je me suis lancée ! [Rires]

Cette rencontre avec Danielle Perret a donc été une véritable révélation pour toi…

Oui, totalement !

Danielle Perret (SynchrodoublageInstagram)

Ton premier doublage, c’était pour la série La famille Green, si je ne me trompe pas, avec le directeur artistique Vincent Violette.

Comment cela s’est fait ?

Eh bien, Vincent avait entendu parler de moi.

Vincent Violette

Il faut savoir que, dans le doublage, quand tu « travailles bien », il y a une espèce de bouche à oreille qui se crée.

On a parlé de moi, Jean-Paul Goury (un ingénieur du son) a trouvé que j’avais beaucoup de talent et il disait autour de lui : « c’est une petite qui vient d’arriver, faut la faire travailler, elle est géniale ! ».

C’est ainsi que, de fil en aiguille, je me suis retrouvée sur le plateau de Vincent Violette et France 2 m’a choisie pour doubler Anne Hathaway dans cette série.

Anne Hathaway dans La Famille Green (1999) (IMDB)

Est-ce que tu as des directeurs ou des directrices artistiques, un peu fétiches ?

Oui.

En dehors de Danielle Perret et de Vincent Violette, j’ai beaucoup aimé travailler avec Philippe Peythieu (la voix d’Homer Simpson) qui m’a beaucoup dirigé dans les séries 24 heures chrono, Preacher et House of Cards que j’ai adorée doubler.

J’adore aussi travailler avec Hervé Bellon.

C’est lui qui m’a mise sur Gamora et Marvel ensuite, m’a choisie. Il est très exigeant, mais c’est un excellent directeur de plateau.

Hervé Bellon (notrecinema.com)

Je pense à Michèle Dorge, à qui je dois beaucoup également.

Il y a aussi Michel Dodane ou encore Catherine Le Lann, que j’apprécie énormément.

Du côté de la jeune génération, j’aime beaucoup Benoît Dupac, Mélody Dubos et Jonathan Dos Santos mais j’en oublie certainement. Pardon.

Et, à l’inverse, as-tu déjà eu des mauvais directeurs artistiques ?

Ah oui, il y en a !… je ne dirai pas de noms !… [Rires]

Ce que j’appelle un mauvais directeur artistique, c’est celui qui te coupe toute création, qui te castre…

Si tu lui donnes pas la note qu’il veut, c’est pas bon, il te castre avant même que tu aies commencé à lui proposer quoi que ce soit… Ça, c’est le pire…

Il y a une question que je me pose depuis longtemps : quand on double une autre actrice, n’est-ce pas trop dur de disparaître derrière elle ?

Eh bien, bizarrement, non. En tout cas, pas pour moi.

Je trouve un réel plaisir, au contraire, à donner vie à un personnage. Qui plus est, quand on a la chance de l’incarner dans de très bons films, j’en suis très honorée !

Quand je vois que j’ai doublé des personnages comme Gamora dans la trilogie Les Gardiens de la Galaxie, Eva Mendes dans La nuit nous appartient, Keira Knightley dans Love Actually ou encore January Jones (alias Betty Draper) dans la série Mad Men, je me dis : « Mais quelle chance, quoi ! ».

Tout simplement parce que, quand tu es présent à l’image dans un film, tu n’as pas toujours des enjeux aussi importants à jouer.

Plus exactement, je joue des rôles que je ne pourrais pas forcément interpréter physiquement et puis, surtout, le doublage me permet d’être présente dans des projets qui n’existent pas toujours en France, en tout cas, pour le moment.

Attention, je ne dis pas qu’il n’y a pas de bons projets en France ! Que je ne me mette pas à dos le Cinéma Français ! [Rires]

Il y a beaucoup de qualité en France aussi.

Pendant longtemps le doublage était considéré comme le parent pauvre du métier, et maintenant c’est devenu vraiment populaire, notamment grâce au travail des vidéastes sur YouTube, par exemple.

C’est tout à fait cela.

Au départ, faire du doublage, c’était un peu honteux. On était un peu les acteurs ratés, on se retrouvait dans le doublage parce qu’on n’avait pas réussi à percer, etc.

Et en fait, maintenant, c’est tout le contraire !

La jeunesse veut faire du doublage, c’est pourquoi je développe un pôle au cours Florent, à Bordeaux.

D’ailleurs, sans vouloir me vanter, j’ai un peu contribué à ce changement de regard aussi, avec mon émission Il était une voix sur ma propre chaîne YouTube qui s’appelle NK.

C’est la première émission consacrée au doublage que j’ai créée, il y a 10 ans maintenant, comme me le disait l’équipe de Voix Ouf [un podcast d’Allociné, ndlr], lors d’une invitation : je viens notamment de faire une nouvelle vidéo avec eux.

J’adore ce qu’ils font, vraiment !

J’aime beaucoup Donald Reignoux aussi [autre grand comédien de doublage, ndlr] : c’est génial ce qu’il fait dans son émission Stream VF sur Twitch et YouTube.

Donald Reignoux (sequence-games.fr)
Donald Reignoux (sequence-games.fr)

Je suis heureuse d’avoir un peu lancé tout cela avec Il était une voix où j’ai eu la chance d’interviewer des pionniers du doublage comme Roger Carel, Dominique Paturel, Marc Cassot etc.

Les regrettés Roger Carel, Dominique Paturel et Marc Cassot

Pour en revenir à Allociné, tu disais, dans un podcast, que Gamora est particulièrement difficile à incarner, pourquoi ?

Gamora est extrêmement dure à interpréter parce que, si tu veux, il faut y mettre beaucoup de choses. Le doublage, c’est pas on arrive et on lit… Il faut être comédien, c’est du jeu.

Gamora, elle a beaucoup d’enjeux : elle est à la fois tendre et dure, elle est amoureuse mais ne veut pas que ça se sache. Elle aime sa sœur mais c’est un amour contrarié. Elle aime son père mais c’est aussi un amour contrarié…

En plus de tout cela, elle peut aussi être drôle ! C’est un personnage riche donc, quand on la double, il faut être chargé de tous ces aspects.

Sans compter qu’elle demande beaucoup d’énergie Gamora : Elle bouge, elle bouge tout le temps, elle est dans l’action ! Beaucoup de scènes se jouent en extérieur, donc il faut porter sa voix, toujours être dans l’énergie !

Zoe Saldana dans le rôle de Gamora dans Les Gardiens de la Galaxie (2014) de James Gunn (© The Walt Disney Company)

Tu la doubles aussi dans les jeux vidéo, je crois…

Oui. Je la double dans le jeu Lego Marvel Super Heroes 2 et aussi dans What if, la très belle série animée sur Disney+.

Continuons d’explorer tes rôles cultes, on va parler des films d’horreur Saw, bien sûr.

Comment on se prépare pour un doublage aussi intense ?

Comme je te le disais tout à l’heure, c’est Danielle Perret qui m’a mise sur cette saga.

Comment on s’y prépare ?

C’est simple : il faut y aller, faut y aller ! Il faut tout lâcher, il faut lâcher les chevaux ! Ne pas hésiter à bouger dans tous les sens !

Sans avoir peur du ridicule !

Ah oui, tout à fait !

Derrière une barre, on peut être très ridicule mais on s’en fiche, on ne nous voit pas ! [Rires]

Shawnee Smith dans Saw de James Wan (photo : Greg Gayne – © 2004 – Lionsgate)

As-tu déjà été confrontée à un film mauvais que tu devais doubler et, dans ce cas là, comment as-tu fait ?

Écoute, tu vas rire mais ça ne m’est jamais arrivé.

Je vais te dire un truc : je double actuellement dans Amour, Gloire et Beauté. Alors oui, on peut se dire « Oh là là, c’est nul ! »… Eh bien moi, je ne trouve pas.

C’est un vrai exercice de doublage, assez difficile d’ailleurs, parce qu’il faut être crédible dans quelque chose d’assez formaté, tu vois.

Et il y a des vrais fans derrière, des gens qui adorent cette série, qui oublient tous leurs problèmes grâce à elle, et qui rêvent devant Bill, Poppy, etc.

C’est pour cela que je le fais avec tout mon cœur et que je m’y investis.

Je remercie d’ailleurs Michèle Dorge, que j’évoquais tout à l’heure, de m’avoir donné cette chance de rentrer dans la grande famille d‘Amour, Gloire et Beauté.

Oui, et en plus, c’est du travail au long cours, tu ne sais pas combien il y a d’épisodes, enfin tout dépend du destin de ton personnage !…

Exactement, j’espère que Poppy va durer !

Elle est jouée par Romy Park, qui est une très belle comédienne asiatique.

Romy Park dans Amour, Gloire et Beauté (IMDB)

On est en relation sur Instagram. On se parle toutes les deux.

Incroyable ! As-tu déjà rencontré d’autres actrices que tu as doublées ?

Oui ! J’ai aussi eu la chance de rencontrer Marisol Nichols, que je double dans la série Riverdale, dans le rôle d’Hermione Lodge.

À ma grande surprise, quand on s’est rencontrées, elle m’a prise dans ses bras, elle a fait une vidéo de moi, m’a prise en photo et après elle m’a mise sur tous ses réseaux !

C’était une vraie rencontre !

Est-ce que, par la suite, ça a influencé ta façon de la doubler ?

C’est une bonne question… je pensais à elle, en fait. Je pensais à cette rencontre dans un petit coin de ma tête, oui.

Marisol Nichols dans Riverdale (IMDB)

Toujours autour des rencontres, tu fais aussi pas mal de conventions, cela doit être génial d’aller au contact des fans !

Oui ! Alors, c’est épuisant, je ne te cache pas que, quand je rentre à l’hôtel le soir, je tombe ! [Rires]

Mais c’est un vrai bonheur !

Je rencontre des gens incroyables qui me disent : « on trouve de la force avec le personnage de Gamora ! ».

Il y a aussi les fans de Saw à qui je demande souvent : « mais comment vous faites pour aimer Saw ?! » Et ils me répondent : « on adore parce qu’on décolle de la réalité, ça nous fait travailler une partie de nous-mêmes, notre côté sombre  ! », c’est intéressant !

Ce qui est merveilleux aussi, c’est que je reçois des cadeaux, au point d’avoir une salle dédiée à eux chez moi !

Parlons maintenant du sujet inquiétant du moment : l’intelligence artificielle. Quel est ton regard sur ce grand bouleversement ?

Il faut légiférer !

Attention, on n’est pas contre l’IA, pas du tout.

L’IA peut, demain, être une énorme aide, dans tous les domaines, que ce soit, aussi bien en informatique, qu’en médecine, qu’en chirurgie etc.

Mais cela doit rester une aide.

Nous, les comédiens et comédiennes, quand on double, on le fait avec notre cœur, on le fait avec notre corps, on le fait avec notre histoire, avec notre voix, et on y met de la subtilité de jeu.

Pour acquérir cette subtilité, ça nous prend des années de travail dans des écoles de théâtre !

Donc on ne peut pas être, d’un coup, remplacés par un robot !

Sans compter que cela va au-delà du simple métier de comédien : demain, un animateur radio peut être remplacé, un chanteur peut être remplacé, un journaliste peut être remplacé etc.

C’est la porte ouverte à tout, quoi !

On ne veut pas d’un monde comme cela !

D’où l’importance de légiférer, d’encadrer ce secteur, et j’invite tout le monde à mener ce combat.

Poursuivons sur une note plus réjouissante : de l’extérieur, on voit vraiment le milieu du doublage comme une vraie famille.

Est-ce que tu ressens cela également ?

Absolument !

Moi, j’ai beaucoup d’affection pour mes camarades et de plus en plus !

Plus je vieillis, plus je me dis qu’on est dans le même bateau : on partage la même passion, on a un peu le même destin… et on est confrontés aux mêmes problèmes comme l’IA, dont on vient de parler.

D’ailleurs, j’en profite pour embrasser tous ceux et celles qui ne travaillent pas forcément en ce moment.

As-tu des figures qui t’ont inspirées pour faire ce métier ?

Alors non, parce qu’au départ, je ne savais même pas que les voix, ça existait !

Plus exactement, je n’avais pas compris qu’il y avait des voix ! [Rires]

Je pensais que Columbo c’était sa vraie voix, pareil pour Magnum… Ben non, en fait ! [Rires]

Plus tard, bien sûr, tu découvres qu’il y a vraiment des acteurs de doublage, derrière.

Donc, je n’ai pas eu de modèle.

En revanche, il y a des actrices et des acteurs dont j’adore la voix, comme le regretté Benoît Allemane… C’est incroyable ce qu’il fait dans Les Évadés, il est merveilleux, d’humanité, de beauté.

Benoît Allemane (© Maxppp – Alexandre MARCHI/PHOTOPQR/L’EST REPUBLICAIN)

Il fusionnait avec Morgan Freeman, qui d’ailleurs, lui a rendu hommage sur les réseaux sociaux.

J’aime beaucoup aussi la voix de Maïk Darah, la voix de Whoopi Goldberg, qui est incroyable.

Maïk Darah

Il y a énormément de très belles voix !

Le doublage français est le meilleur au monde : il y a des VF qui subliment la VO, je n’ai pas peur de le dire !

Tu as pas mal de projets en dehors du doublage, je pense, par exemple, au court-métrage Un homme comme les autres, présenté au Nikon Film Festival, peux-tu nous en parler ?

Bien sûr !

C’est un film de Mohamed Dendani.

Ce qui est marrant, c’est que j’ai refusé de faire le film au départ, par manque de temps.

Cependant, il a insisté et finalement, j’ai accepté.

Je ne le regrette pas, c’est un très joli rôle dans un très joli court-métrage autour d’un concept génial : un jeune garçon qui a le pouvoir de changer d’apparence.

C’est super bien pensé, super bien filmé et réussir à parler de tant de choses en deux minutes seulement… Franchement bravo ! Bravo Mohamed Dendani !

À mon avis, il fera parler de lui et j’ai été très heureuse et très fière d’avoir fait la voix de la maman dans ce projet !

Le film de Mohamed Dendani en compétition au Nikon Film Festival

J’ai vu aussi que tu avais été jurée au Festival de Rouen.

Oui, c’est grâce à Bô Gaultier de Kermoal (l’acteur de Kaamelott) que j’avais rencontré lors d’une convention à Valence, avec les Cosplayeurs du Cœur.

Il m’a proposé de faire partie du jury, j’ai accepté avec grand plaisir.

Bô Gaultier de Kermoal

Quels souvenirs gardes-tu de cette expérience de jurée ?

D’abord, c’est très gratifiant, qu’on te fasse confiance.

Ensuite, c’est également très intéressant parce que tu découvres plein de talents, aussi bien au niveau du jeu des acteurs, qu’au niveau des réalisateurs, c’est vraiment super !

Oui, puis il y a aussi le contact avec le public !

Oui, d’ailleurs, les fans de doublage savaient que je venais là, et il y en avait dans la salle.

La communauté est venue ! [Rires]

On est sur La Pellicule Bordelaise, terminons donc sur une note plus locale : tu évoquais tout à l’heure, les cours que tu donnes au cours Florent de Bordeaux.

Cours Florent de Bordeaux (photo : Pauline Ricot)

Cela fait longtemps que tu travailles avec eux ?

Cela fait à peu près trois ans maintenant que je travaille avec eux. J’assure aussi des cours au pôle Théâtre et Cinéma du cours Florent de Nantes.

C’est une superbe aventure !

Je suis très contente de développer le pôle doublage à Bordeaux, en collaboration avec Julien Delbes, le responsable pédagogique des premières années.

Cela doit être assez excitant de former les jeunes acteurs et actrices dans ce domaine !

Tout à fait !

Tu as l’impression de passer le flambeau, c’est gratifiant, même si je n’ai pas encore l’âge de la retraite, hein ! [Rires]

Comment se déroulent les cours ?

On est installés au château du cours Florent, à Lormont, et on travaille dans un vrai studio, dans les conditions d’un doublage professionnel.

Un immense merci à Nathalie Karsenti d’avoir pris le temps de nous emmener dans les coulisses de son art, véritable savoir-faire unique qu’il faut défendre et protéger !

Pour aller plus loin

Suivez l’actualité de Nathalie sur son compte Instagram

Son passage dans l’émission Voix Ouf

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