Le difficile financement du documentaire

Cette semaine, le Fipadoc (le Festival International du Documentaire de Biarritz) organise ses « journées professionnelles » en ligne, l’édition « physique » du festival, elle, est reportée (si tout va bien d’ici là) au mois de mars.

Mardi dernier, une table ronde très intéressante s’est déroulée : elle a permis de faire le point sur l’état des lieux de la production du documentaire de création.

Ce secteur souffre déjà d' »une paupérisation rampante », comme l’explique en préambule Stéphane Le Bars (délégué de l’Union Syndicale de la Production Audiovisuelle (USPA) et animateur du débat).

La crise actuelle du Covid-19 n’a rien arrangé avec « de nombreux tournages internationaux qui restent bloqués pour une durée indéterminée » précise-t-il.

Cette paupérisation se confirme via une nouvelle étude intitulée « Réalités des rémunérations des documentaristes », comme le détaille Anna Feillou, réalisatrice, membre de l’Addoc (l’association des cinéastes documentaristes) et de la commission audiovisuelle de la Scam (la société civile des auteurs multimédia).

Cette analyse porte sur les films produits pour la télévision.

Anna Feillou y remarque « la très grande variabilité » des rémunérations en fonction du diffuseur, comme le montre le graphique suivant :

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Ces chiffres sont directement corrélés aux budgets des films :

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Mais que faut-il inclure dans la rémunération précisément ? En particulier la rémunération brute ?

Anne Feillou la définit ainsi : c’est « la somme des droits d’auteur versés par les prods [sociétés de production] et des salaires versés, dans les phases où, nous sommes sous contrat avec les sociétés de production ».

Cette rémunération augmente au prorata « [du] coût définitif des films, [de] la durée des films [et du] nombre de jours [de travail] déclarés par les réalisateurs et réalisatrices ».

La prise en charge ou non du montage (en plus de la réalisation) joue aussi sur le calcul final. Notons que ce dernier est revu à la baisse en cas de co-réalisation…

Enfin, à budget équivalent, il n’y a pas de disparité de revenus notable entre les hommes et les femmes, si ce n’est, qu’elles sont encore « moins nombreuses à réaliser les films les mieux exposés et les mieux financés ».

L’autre dimension importante qui est ressortie du débat c’est le rôle essentiel du producteur.

En effet, comme le montre le schéma suivant, les documentaires, dans leur globalité, ne sont pas financés en totalité sans ce que l’on appelle, l’apport producteur :

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Les « financements obtenus » correspondent, entre autres, aux sommes versées par les diffuseurs, le CNC etc… mais elles ne couvrent en tout que 83, 5 % du coût de l’œuvre, comme on peut le voir ci dessous.

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La société de production est « la seule partie dans la création d’un documentaire à ne pas se rémunérer et à ne pas pouvoir couvrir ses propres dépenses », précise Jérôme Dechesne de l’USPA.

Une œuvre n’est en conséquence pas amortie, tant que l’apport producteur n’est pas couvert.

Il existe un crédit d’impôt qui peut minorer cet apport, que l’on appelle dès lors « apport producteur résiduel ».

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Il apparaît donc que ce secteur de la production ne répond à aucun critère d’analyse économique classique :

« Il n’y a pas de notion de vente à perte (…), pas de notion de marge ».

Ajoutez à cela, une « hypertransparence » (sic) qui oblige le producteur à transmettre ses comptes au CNC, aux pré-financeurs et aux auteurs.

Ce qui fait que l’acheteur (et diffuseur) a une « totale visibilité sur le coût détaillé de l’œuvre » et « va (…) négocier lui-même le prix de revient ».

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Selon l’USPA, dans cette configuration, les sociétés de production ne peuvent dégager un seuil de rentabilité satisfaisant.

L’international peut-il être la solution pour pallier ce problème majeur ?

« Il ne faut pas croire que l’international va régler tous les problèmes » répond Manuel Catteau, producteur chez ZED. Ça permet d’en régler certains, de compenser des manques de financements, mais pas tout ».

C’est bien pour des documentaires historiques, par exemple.

De plus, « la concurrence rend les diffuseurs possessifs et de moins en moins partageurs » explique Patricia Boutinard-Rouelle, productrice chez Nilaya Productions. « (…) Ils demandent de plus en plus (…) d’exclusivités mais le paradoxe c’est qu’ils financent de plus en plus mal »….

C’est pareil pour le numérique… même en production « 100 % numérique » (type france tv slash), le manque d’investissements est criant.

Au final, la clé du problème, comme l’explique Jérôme Dechesne, c’est l’augmentation de la part du « primo diffuseur » du futur documentaire qui pourra permettre aux sociétés de production de pouvoir atteindre le seuil de rentabilité essentiel.

Mais dans un contexte ultra concurrentiel, cette augmentation de budgets globale semble difficile à atteindre malheureusement…

Pourtant, le documentaire est l’une des meilleures clé qui soit pour comprendre le monde, comprendre l’humain et se comprendre soi-même.

Merci à Anna Feillou, Manuel Catteau et Jérôme Dechesne pour leur disponibilité et leurs retours.

Merci également à Paul Lalange pour son important travail de relecture.

source :

Replay de la table ronde sur fipadoc.com (les graphiques présentés sont des captures d’écran).

Pour aller plus loin :

Consultez l’étude complète sur la rémunération des documentaristes.

Site de l’Addoc

Site de la Scam

Site de l’Uspa

Site de Zed

Site de Nilaya productions.

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