Depuis 2020, le groupe bordelais Slowrush (composé de Tim Pike, de son fils Dorian Pike et du bassiste Olivier Rols) rend hommage, dans des chansons pop et acidulées, aux lieux insolites et aux personnalités de la région.
Au fil de ses mélodies, on déambule au jardin des villes jumelles (situé dans la réserve écologique des Barails, au nord de Bordeaux) ou on croise Mort Shuman, chanteur et compositeur de génie (on lui doit les tubes Le Lac Majeur ou Sorrow) qui repose à Caudéran.
On rencontre même le controversé Gilles Bertin, bassiste du groupe punk bordelais Camera Silens, devenu par la suite… braqueur !
Dans ce paysage musical local très varié, attardons-nous davantage (blog de Cinéma oblige !) sur Gabriel Leuvielle (plus connu sous le nom de Max Linder), première grande star mondiale du Cinéma (et grand inspirateur de Charlie Chaplin), que Slowrush évoque dans son morceau Secret Garden, en 2021.
Depuis un mois, cette chanson a pris une nouvelle dimension sous la forme d’un clip vidéo réalisé par Nathan Pike, le second fils de Tim.
Tout est parti d’un exercice de fin d’année demandé par son établissement de formation audiovisuelle (l’Ecole Supérieure du Digital de Bordeaux) : réaliser un clip musical en une semaine seulement !
Très vite, Nathan a eu envie de mêler fiction, passé et présent dans son court-métrage pour aller au-delà du format classique du clip musical, surtout là pour illustrer une chanson, habituellement.
À l’occasion du centenaire de la tragique disparition de Max Linder, il choisit donc de mettre en images la chanson de son père Tim, qui parle de Max Linder mais surtout de Maud, sa fille, qui a tant œuvré, tout au long de sa vie, à la sauvegarde de l’œuvre de son père, Max.
Le clip s’ouvre sur un léger travelling avant montrant Maud Linder attablée dans son jardin. Elle ouvre une enveloppe à son nom et tombe sur deux photos.
L’une d’elles dévoile Max Linder (Nathan Pike lui-même !) enterrant (dans ce même jardin !) des bobines de films près d’un arbre, à quelques mètres de là, des dizaines d’années auparavant.
Cette découverte, cette grande révélation, ce changement pour de bon (« The big reveal, the change for good » racontent les paroles de la chanson) met en mouvement le plus grand travail d’amour (« Set in motion the greatest labour of love ») et la pousse à déterrer davantage son passé familial (au sens propre !).
Ainsi, le « Jardin Secret », évoqué dans la chanson, révèle enfin… ses fameux secrets !
Au quatrième couplet « The world’s first silent movie star » (« la première star mondiale du cinéma »), la séquence en flashback démarre : Max Linder (Rémy Dhelias) enfile son chapeau haut de forme, accessoire emblématique de son personnage de dandy élégant et soigné qu’il met en scène dans nombre de ses films.
Malheureusement, l’heure n’est plus à l’effervescence des plateaux de tournage mais à la contemplation de souvenirs photographiques, fenêtres figées sur des moments passés plus heureux, aux côtés de Charlie Chaplin, notamment.
Ces plans sont en miroir de ceux de sa fille contemplant, elle aussi, d’autres photos, des décennies plus tard…
Une dernière danse commence entre Max Linder et sa très jeune épouse Nina Peters (Léa Ray).
Nathan Pike filme cette scène en plans serrés sur les visages fermés et très pâles des deux comédiens (joli travail de la maquilleuse Clotilde Capet !).
Ils sont très impliqués pour faire ressentir les tourments intérieurs de leurs personnages.
Ce mal-être est renforcé par l’enchaînement rapide des plans, jusqu’au moment tragique du suicide…
Ce dernier est évoqué avec beaucoup de délicatesse et de pudeur, grâce à un jeu de mise au point (travail sur le flou et le net) qui concentre rapidement le regard sur la lettre d’adieu de Max à sa fille…
Le clip s’achève sur un time-lapse (procédé qui consiste à filmer un plan sur un temps très long pour ensuite accélérer le tout au montage et montrer le déroulé des événements en accéléré).
Il a nécessité de laisser tourner les caméras pendant 1 h 15 mais s’inscrit parfaitement dans la thématique du court-métrage qui interroge notre rapport au passé et au temps qui passe.
Nathan Pike instaure un dialogue entre hier et aujourd’hui jusque dans le time-laps accompagné par l’ultime danse du couple disparu Nina Peters-Max Linder.
Vous l’avez compris au travers de notre petite analyse, le clip suit la trame de la chanson écrite par Tim Pike, et tout comme elle, se révèle être davantage un hommage à Maud Linder, qu’à son père.
Plus précisément, le clip et la chanson saluent la passion et l’implication de cette femme admirable pour que la figure et l’œuvre de Max Linder ne sombrent pas dans l’oubli !
Elle est incarnée dans le court-métrage par Anouchka Csernakova, comédienne à la filmographie impressionnante ayant tourné des petits rôles chez Jean-Pierre Mocky (Le renard jaune (2012)) chez Roschdy Zem (Chocolat avec Omar Sy en 2015) ou encore dans Le sens de la fête (2017) du duo Toledano-Nakache !
Nathan Pike raconte qu’elle était très professionnelle sur le tournage et très investie dans son rôle : elle a choisi sa tenue avec soin et dans la scène de cinéma en plein air, elle racontait aux personnes présentes l’histoire de Max et de Nina comme s’il s’agissait de ses véritables parents !
Slowrush apparaît d’ailleurs dans cette séquence : les connaisseurs du groupe remarqueront qu’en dehors du chanteur Tim Pike, les deux autres membres (Olivier Rols et Dorian Pike) sont absents !
Pour autant, ils sont quand même présents dans le clip, sur une photo, accrochée par Maud à l’abri de jardin (on l’aperçoit vers 1 minute 30, en bas à gauche du cadre).
Ce n’est pas le seul petit clin d’œil caché : à la 25ème seconde, lorsque Maud superpose la photo de Max Linder creusant des décennies plus tôt au même endroit sur l’arbre de son jardin, c’est une référence au travail de Tim Pike qui aime (tout comme son fils dans le clip) faire dialoguer, passé et présent, en photos sur son blog Invisible Bordeaux…
Lui et moi avons également repris ce concept, en 2022, pour repartir sur les traces du tournage de la comédie culte de Francis Veber, Les Fugitifs, sortie en 1986.
L’exploration du passé est donc une affaire de famille chez les Pike !
Le court-métrage de Nathan Pike en est une nouvelle illustration émouvante, un hommage tendre et touchant qui donnent un nouvel écho plus important et mérité à un père et sa fille (partie en 2017), figures importantes du cinéma français et mondial.
N’attendez donc plus une seule minute pour regarder et écouter ce merveilleux travail, juste ici :
Pour aller plus loin :
Ecoutez et achetez les morceaux de Slowrush sur Bandcamp !
Les Fugitifs : retour sur le tournage ! avec Invisible Bordeaux
Critique de Chocolat de Roschdy Zem
Sources :
Image d’en-tête : Tim Pike
Articles de presse :
Yannick Delneste, Bordeaux : la pop so british de Slowrush, sudouest.fr 24/07/2020 (lien)
Yannick Delneste, Vidéos. Musique : le groupe girondin Slowrush a tourné son dernier clip au centre de l’hémisphère nord, sudouest.fr 15/05/2023 (lien)
Isabelle Camus, Le groupe de Britpop bordelais Slowrush sort un nouvel EP et attention, il est carrément euphorisant !, jugeote.media 21/11/2024 (lien)
Yannick Delneste, Vidéos. Musique en Gironde : le 5e EP de Slowrush, petit cadeau de Noël avant l’heure, sudouest.fr 24/11/2024 (lien)
Article de blog :
Tim Pike, Chaban de Bordeaux, d’hier à aujourd’hui, lebordeauxinvisible.blogspot.com (08/08/2021) (lien)
Fiche artiste :
Site officiel d’Anouchka Csernakova (lien)





