[Critique] « De rouille et d’os » de Jacques Audiard

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Avec Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Armand Verdure
Genre : Drame

Sortie le 17 mars 2012

 

L’histoire : Nord de la France. Ali est seul, sans argent, sans amis, sans domicile avec son fils de 5 ans qu’il ne connaît pas vraiment. Heureusement, sa sœur l’héberge bientôt dans le garage de son pavillon à Antibes tout en prenant en charge l’enfant.
Les choses s’améliorent pour le jeune père de famille et son chemin croise celui de la belle Stéphanie après une bagarre en boite de nuit. Elle exerce le métier passionnant de dresseuse d’orques et se produit avec eux dans de nombreux spectacles.
Mais un terrible accident survient lors d’un show et la prive de ses jambes… Elle reprend alors contact avec Ali…

La critique : Ces temps ci, le handicap est à la mode au cinéma, et l’on a pu constater à travers le succès mérité de plusieurs comédies (Intouchables et Hasta la vista), qu’il était possible d’aborder le sujet sans pathos tout en n’évitant pas les questions sensibles (la sexualité notamment). Ici et pour son nouveau film en compétition à Cannes, Audiard choisit le mélodrame et, là où l’on aurait pu craindre le retour malvenu des bons sentiments, signe un tour de force visuel qui touche juste.

On retrouve dans ce film, adapté de plusieurs nouvelles du canadien C. Davidson dont le style, tout en réalisme percutant, correspond bien à l’esthétique du cinéaste, ce qui fait la force du cinéma d’Audiard (et qui était déjà sensible dans Un prophète) à savoir une maîtrise formelle qui évite l’académisme froid. Le réalisateur de Sur mes lèvres bouscule les codes cinématographiques pour mieux les réinventer, ouvrant des brèches de poésie visuelles au cœur des scènes les plus chargées d’enjeux dramatiques (l’accident de Stéphanie), comme pour nous indiquer que, de la réalité la plus sombre, peuvent (re)naître l’espoir et le rêve.

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C’est précisément cela que le film raconte, sans mièvrerie ni voyeurisme mais avec une force rare, la renaissance de deux êtres qui vont découvrir en eux-mêmes (mais aussi l’un par l’autre, l’un avec l’autre) des ressources insoupçonnées. L’une en apprivoisant son corps amputé (image du désir amoureux, ce manque à combler, qui va surgir quand elle ne l’attendait plus ?), l’autre en laissant parler les intermittences d’un cœur que les coups donnés et encaissés par son corps de boxeur surpuissant semblaient condamner au pire au silence, au mieux à une expression précaire et maladroite car proprement dénuée de ce sens offert par le dénouement.

Si le film échappe ainsi au double écueil du misérabilisme de film noir et du sentimentalisme mélodramatique pour devenir une parabole sur la nécessité d’espérer en temps de crise, c’est en grande partie au talent de directeur d’acteurs d’Audiard qu’il le doit. On a rarement vu Marion Cotillard (Stéphanie) aussi bouleversante, capable de jouer sur une palette d’émotions allant de la séduction pleine d’assurance et de désinvolture des débuts à la rage quasi animale d’une femme qui voit son corps et son destin se briser (sa colère dans la boîte de nuit est poignante). Mais la plus belle performance, tout en ambiguïté, revient sans conteste au prometteur Matthias Schoenaerts, qui mériterait, après Tahar Rahim, une récompense à Cannes. Le retour parmi les hommes de cette bête blessée (ce thème de l’animalité en l’homme était déjà présent dans Bullhead, le film qui l’a révélé), Audiard le donne à voir en filmant une danse des corps dont il semble être à la fois le chorégraphe attentif et le spectateur fasciné. Ce corps, c’est d’abord celui du boxeur-fauve se livrant à des combats illégaux (occasions de scènes à la violence difficilement supportable, où la tension est illustrée par une réalisation nerveuse multipliant les plans rapprochés et les effets de bougé) pour venir en aide à ses proches dans le besoin (sa sœur Anna, qui accepte de l’héberger avec son fils Sam (Armand Verdure), est interprétée avec talent par Corinne Masiero, révélée au grand public pour son rôle dans Louise Wimmer).

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C’est ensuite celui du nageur-orque auprès de qui, dans une séance de baignade en forme de baptême à la beauté et à la fraîcheur solaires, l’ancienne dresseuse aquatique va reprendre possession de son corps meurtri, jusqu’à ce que, centaure d’un nouveau genre, ces deux physiques hors normes ne fassent plus qu’un. Car ce corps massif, qui couche comme il combat (en matière de femmes, Ali ne connaît que les « coups », normal pour un boxeur, me direz vous) est aussi un corps protecteur et fonctionnel, capable de se mettre au service de Stéphanie pour qu’elle recommence à croire au plaisir, mais comme le ferait un soignant. Entre puissance inquiétante et fragilité toujours prête à affleurer, impulsivité menaçante et brutale et tendresse insoupçonnée, Matthias Schoenaerts compose un personnage qui, à l’image du film, marche au-dessus de l’abîme sans jamais y tomber pour, en bout de course, trouver la lumière au cœur du drame.

Pour conclure, on peut dire que ce film illustre d’une autre manière que les sorties récentes mentionnées plus haut la portée universelle du handicap. Plutôt que de dire que les handicapés sont des hommes comme les autres, il fait du handicap, nouvelle prison symbolique après celle, bien réelle d’Un prophète, une métaphore de la crise, suggérant qu’aujourd’hui les hommes sont des handicapés comme les autres, qu’il s’agisse d’un handicap physique ou social. Audiard réussit donc une fois encore, entre réalisme social parfois trop appuyé et puissant lyrisme visuel porteur d’espoir, un film coup de poing à fleur de peau qui ne vous laissera pas indifférent.

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La note d’Etats Critiques : 8/10

Par P. Derumeaux

Sources images : lexpress.fr, allocine.fr

 

 

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