Le cinéaste Jacques Rivette, figure de la Nouvelle Vague, nous a quittés. Pour lui rendre hommage, nous avons choisi d’évoquer La Belle Noiseuse, sa libre adaptation du Chef d’œuvre inconnu de Balzac, récompensée à juste titre par le Grand Prix du Jury à Cannes en 1991. Mais assez discuté, on a un tableau à terminer…
Jacques Rivette restera l’une des figures marquantes de la Nouvelle Vague, ce courant cinématographique très divers né à la fin des années 50 sous l’impulsion de jeunes cinéastes (Truffaut, Godard, Chabrol…), qui veulent s’affranchir de la lourdeur des tournages en studio.
Ainsi, comme l’explique Jacques Rivette : « Le cinéma c’est uniquement le concret, les choses matérielles (…). C’est une des raisons pourquoi nous tous, on aime tellement tourner en décors réels, c’est que les décors réels apportent des empêchements, des difficultés dans toutes les directions qui obligent à trouver des solutions, des solutions encore une fois qui sont bonnes ou qui sont mauvaises, elles peuvent être mauvaises mais ça oblige à inventer » (extrait d’On aura tout vu – France Inter, 30/01/2016).
Mais les tenants de la Nouvelle Vague (ainsi dénommée par la presse en tout cas) défendent surtout la primauté du réalisateur dans le processus du création d’un film. La création, une thématique au centre de La Belle Noiseuse.
Edouard Frenhofer (Michel Piccoli) est un vieux peintre brillant qui vit paisiblement dans le Sud, aux côtés de sa compagne Liz (Jane Birkin). Enfin… Pas si paisiblement en réalité. Il porte en lui, l’énorme frustration de ne pas être parvenu à achever son grand chef d’œuvre dix ans plus tôt…
Tout change avec la visite d’un jeune couple. Ces deux jeunes gens, on les découvre au tout début du film : Nicolas dessine sur un carnet en terrasse. Marianne sort d’une des chambres de l’auberge derrière lui, et s’amuse à le prendre en photo au polaroïd depuis le balcon qui surplombe la terrasse.
Commence alors une jeu de séduction étrange entre les deux, une sorte de Roméo et Juliette inversé : Marianne observant et cherchant à attirer l’attention de son « Roméo ». La terrasse devient une scène où le public (nous et deux touristes anglaises) assiste à leur vraie fausse rencontre (on apprend plus tard qu’ils se connaissent depuis 3 ans).
Leur ami Porbus arrive de Genève et les mène chez Edouard Frenhofer, que Nicolas (peintre lui-même) rêve de rencontrer. Une fois sur la propriété, on visite en même temps qu’eux, de vastes pièces étonnement sombres…
Les pas des visiteurs résonnent, créant une forme de malaise, de tension, renforcés par l’absence remarquée du maître des lieux. Malgré la gentillesse de Liz, on sent que quelque chose ne tourne pas rond ici.
Lorsque enfin, le peintre apparaît, tout le monde se désaltère dans le jardin, la chaleur est accablante et s’ajoute à la lourdeur ambiante savamment déployée par Rivette. Edouard leur fait visiter son atelier et repère bien vite Marianne… Le jeu de regards de Michel Piccoli nous fait comprendre qu’il sent que ce sera elle, la belle noiseuse…
Plus tard, Nicolas, fasciné par le maître, « offre » pour ainsi dire sa compagne comme modèle… L’apprenant, Marianne lui fait part de sa colère, mais elle ne peut finalement résister au magnétisme d’Edouard et se rend à son atelier.
À partir de cet instant, Jacques Rivette nous donne à voir la création d’une œuvre presque en direct, des croquis préparatoires jusqu’au tableau final. On est fasciné par le trait de Bernard Dufour (le vrai peintre qui prête sa main à Michel Piccoli), on est aussi subjugué de voir ses dessins prendre forme dans de longs gros plans fixes en plongée au dessus de son carnet. Même le bruit du fusain sur le papier nous hypnotise…
Une relation de fascination-répulsion s’instaure entre Edouard et Marianne. Il l’installe dans des poses de plus en plus inconfortables, les séances sont rapidement douloureuses tant mentalement, que physiquement. Jacques Rivette invente le nu totalement dépourvu d’érotisme.
Edouard devient tyrannique et obsessionnel (« c’est pas moi qui veut, c’est le tableau » dit-il) et Marianne le déteste cordialement, en témoigne son regard empli de colère et de rage.
Ce projet fleuve rejaillit aussi sur l’entourage des deux protagonistes, très vite jaloux de leur proximité : Nicolas voit Edoudard comme un rival dans le cœur de Marianne et Liz se sent elle aussi comme « effacée » dans l’esprit de son homme…
La belle Noiseuse décline brillamment quatre heures durant (qu’on ne voit pas passer), les difficultés de la création artistique. Le duo Piccoli-Béart est incroyable, on ne peut décrocher, tant on est curieux de savoir comment ce rapport de force hypnotisant va se terminer. Dépêchez-vous de (re)découvrir ce chef d’œuvre injustement oublié.
source image : magnoliaforever.wordpress.com.
documentation : http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/nouvelle_vague/148007 – http://www.allocine.fr/film/fichefilm-6997/secrets-tournage/