Cuban Network, le nouveau film d’Olivier Assayas, sort en salles ce mercredi.
Ce film raconte la mise en place par le régime castriste d’un réseau d’espionnage chargé de surveiller les opposants cubains aux Etats-Unis.
Le cinéaste nous raconte le tournage pas toujours facile à Cuba.
Tourner à Cuba, cela a été compliqué ?
Ça l’a été selon les jours [rires] !
Au départ, c’était non ! On est venus, on a rencontré le véritable René González [joué par Édgar Ramírez] ainsi que le vrai Manuel Viramontez [joué par Gael García Bernal], on a dîné avec eux, c’était cordial, mais on nous a dit 2-3 jours après : « non, on ne souhaite pas que vous fassiez le film à Cuba »…

On a pris acte et commencé à faire des repérages à droite à gauche, en Amérique Latine mais on s’est vite rendus compte que c’était impossible de reconstituer La Havane, ailleurs qu’à La Havane [rires] !
Et [aussi] économiquement c’était infaisable : faire un film d’époque racontant Cuba dans les années 90, c’est inimaginable parce que le monde ne ressemble plus à ça.
On était au bord de renoncer mais néanmoins on continuait à dialoguer avec la productrice cubaine Lourdes Garcia, qui était très sympa, qui nous a beaucoup aidés, [et] qui, elle, avait envie que cela se fasse, elle était embêtée que cela bloque au niveau de l’Etat.
En réalité, je crois que c’est elle, à force de lobbying (…), [qui a permis] au scénario de passer les différents obstacles, il a été montré au Ministère de la Culture, à l’ICAIC (qui est l’organisme de cinéma cubain), au ministère de l’Intérieur et ensuite, il a continué son chemin vraisemblablement jusqu’à Raúl Castro.
En tout cas les Cubains nous disaient qu'[il avait] lu le scénario.
À partir de là, cela permettait de faire le film, c’est un film cher, il a coûté aux alentours de 9 millions d’euros, mais à l’image, il en vaut une vingtaine : il n’y a qu’à Cuba qu’on pouvait avoir les figurants, les avions, filmer des MIG qui atterrissent, qui décollent etc…
Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que c’est un Etat autoritaire, [quand] ils nous aident, [ils le font] vraiment et nous ouvrent toutes les portes, mais enfin, quand tout d’un coup les rapports à l’intérieur du Pouvoir changent, les rapports avec nous changent aussi.
(…)
Il y avait des moments où on était portés par la liberté que nous donnaient les autorisations et il y avait des jours où, tout d’un coup, plus rien ne marchait, c’était bloqué, on ne savait pas pourquoi… Plus ça allait, plus ça se tendait.
Donc quand on est partis, on était contents de partir et les Cubains étaient contents qu’on parte [rires] !
Après avoir eu l’autorisation de tourner, avez-vous été surveillé à Cuba ?
Oui, on le savait, on l’imaginait.
Disons que je savais très bien dans l’équipe qui étaient, comment dire ? Les agents, je ne sais pas comment le dire autrement, qui étaient là, à la fois pour faire leur travail et observer ce qui se passait.
De la même manière (…), il n’y a pas le Wifi à Cuba, c’est très limité, très réglementé.
Pour avoir l’accès, il fallait que cela passe par un expert informatique cubain qui faisait des réglages sur les ordinateurs qui nous permettait d’avoir la Wifi et peut-être vice-versa.
Il y a des moments où c’était assez lourd.
Il y a des moments où cela vous a empêché de tourner certaines scènes ou sujets que vous vouliez aborder ?
Non.
Déjà, le fait de ne pas nous donner les archives sur le Concilio Cubano [groupe dissident favorable à une transition pacifique vers la démocratie à Cuba, ndlr] et sur les émeutes qu’il y a eu à cette époque-là, c’est un petit peu une forme de censure quand même.
Par exemple, à un moment dans le film, il y a l’arrestation du terroriste Salvadorien Raúl Cruz Leon [joué par Nolan Guerra Fernandez], j’ai pas le temps de tout raconter donc je vais le mettre en slip comme ça, on comprendra qu’il est quand même un peu bousculé, là, cela a été la révolution !
Des gens venaient me voir : « non, non dans les services secrets cubains, on ferait jamais une chose pareille ! quelque fois y’a des pressions psychologiques mais vous savez… ». Cela me faisait rigoler !
Dans n’importe quelle culture au monde, des policiers arrêtent quelqu’un qui a posé trois bombes, qui a tué quelqu’un, on le traite avec une certaine brutalité, c’est le minimum, c’est normal.
Tout d’un coup, le truc est parti en vrille mais j’ai pas cédé, je leur ai dit : « c’est écrit dans le scénario, vous avez accepté le scénario, c’est comme ça ».
Autre exemple plus sérieux, là j’ai réellement eu peur, c’est le jour où l’on devait tourner toutes les séquences aériennes du film, littéralement.

C’était extrêmement compliqué d’abord pour la simple raison qu’il n’y a pas d’avions de tourisme à Cuba. Ça n’existe pas ! Y’en a pas ! J’étais assez ahuri mais c’est un fait.
De la même manière, il n’y pas d’hélicoptères. Pour tourner une scène aérienne, il y a besoin d’hélicoptères pour mettre la caméra et d’avions pour les avions qu’on filme !
Il a fallu d’abord faire venir tous les petits avions des Etats-Unis, cela a été une galère sans nom : faire arriver un avion des Etats-Unis pour le faire atterrir à La Havane, c’est un enfer et l’hélicoptère c’est… hors de prix !
(…)
On a dû se servir d’hélicoptères de l’armée cubaine, des hélicoptères soviétiques, qui font la taille d’un semi remorque ! Là où il faut avoir de la souplesse pour arriver à bien positionner les caméras, c’est comme si on faisait ça avec un autobus…
Le jour où on avait tous ces éléments là, complexes, réunis sur l’aéroport militaire de La Havane pour faire ce tournage-là, il y a eu blocage : « vous n’avez pas l’autorisation de décoller ».

Mais ça fait six mois qu’on parle de cette séquence, qu’on a tout validé avec tout le monde !
« oui mais on est désolés… ».
(…)
Là je me suis retrouvé à être obligé de leur dire : « écoutez, vous êtes en train de mettre le film en danger » parce que si on ne peut pas tourner cette scène qui coûte une fortune et qu’on ne peut pas reproduire parce que les avions repartaient le lendemain (on les avaient loués pour une journée, pas pour deux, pour trois…), on n’avait certainement pas les moyens de payer la facture du report d’une séquence pareille avec tout ce que cela veut dire d’hôtel, de logistique… Enfin c’était abracadabrant !
Donc je leur ai dit : « voilà, moi c’est simple, depuis que je suis là, l’Agence France Presse m’appelle pour me demander un entretien sur le tournage du film, je les rappelle et leur raconte ce qui se passe parce que vous êtes en train de mettre l’existence du film en danger ».
C’est pas exactement mon mode d’être [sic] et c’est pas la manière dont j’aime parler aux gens mais c’est ce qui a débloqué la situation.
Les autorités cubaines vous ont-elles demandé de visionner des rushs ou un premier montage ?
Non. Cela faisait partie du deal.
Propos recueillis lors du Festival International du Film d’Histoire de Pessac en novembre dernier.
Merci à Olivier Assayas pour sa disponibilité, au Festival pour leur accueil, et à Sylvie-Noëlle du Blog du cinéma et Cinéséries pour la photo en tête d’article.