Ça y est ! C’est le grand jour jour ! Les salles de cinéma rouvrent !
Pour célébrer l’événement, on se penche aujourd’hui sur le destin d’Edouard Molinaro, grand vainqueur désigné par nos abonnés lors de notre dernier sondage !
Le futur cinéaste voit le jour à Bordeaux le 13 mai 1928.
Fils d’un chirurgien-dentiste, il se passionne très jeune pour le cinéma et participe à de nombreux concours de courts métrages organisés dans la région.
C’est ainsi qu’il est repéré par l’acteur, réalisateur et scénariste Maurice de Canonge qui l’engage comme assistant réalisateur stagiaire sur son film Un flic en 1947.

Il enchaîne au même poste sur le film Le cœur sur la main d’André Berthomieu, avec Bourvil, l’année suivante.

Quatre autres films suivent, avec notamment une expérience au contact du grand Orson Welles sur son court-métrage comique tourné en France, Le Mirage de Sainte Anne, qui raconte comment une starlette parvient à soigner des estropiés en jouant le rôle de Sainte Anne !
Quelques images du tournage :
Il se perfectionne et développe une grande maîtrise technique au contact de ces grands professionnels pendant quasiment une décennie, tout en réalisant parallèlement de nombreux documentaires.
Mais le grand saut a lieu enfin en 1957 avec Le Dos au mur, un polar mettant en scène un industriel (Gérard Oury, futur brillant réalisateur de La Grande Vadrouille (1966)), fomentant une vengeance contre sa femme adultère (Jeanne Moreau).
Construit autour d’un long flashback, ce film tendu et sombre, parsemé de séquences virtuoses (le plan séquence du début avec le générique défilant sur le pare-brise, la voix-off d’Oury qui nous rend complice de l’action…) est une réussite magnifique.

S’ensuivent alors plusieurs films policiers (Des femmes disparaissent (1958), Un témoin dans la ville (1959), La mort de Belle (1960)) qui marchent plutôt bien.
Dans ces années-là, la Nouvelle Vague bat son plein mais Edouard Molinaro ne ressent aucune affinité avec ce mouvement et partage avec son comédien Gérard Oury, un goût prononcé pour la comédie, en particulier la mise en images de pièces comiques. Il aime le théâtre.
« Une grande partie de mes films sont inspirés du théâtre » expliquait-il lors d’une conférence à l’Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle à Paris.
« Cela vient du fait que, quand je suis arrivé de ma province à la fin des années 40 (vers 47-48), j’avais beaucoup vu de films dans ma petite ville (…) en Gironde mais j’avais pas vu de pièces de théâtre, j’adorais le théâtre.
Je me suis précipité au théâtre tous les soirs (…) [et] j’ai d’ailleurs vu Guitry sur scène deux fois ».
Cette fréquentation assidue lui permet de développer « le goût des beaux textes, le goût des acteurs » mais aussi et surtout de connaître de grands succès populaires par la suite sur le grand écran.
Il dirige ainsi Louis de Funès dans Oscar, l’adaptation de la pièce éponyme en 1967.

Le tournage est un véritable enfer ! De Funès n’aime pas la façon de travailler d’Edouard Molinaro, comme le réalisateur le confie à Guillemette Odicino, journaliste à Télérama, en janvier 2013 :
« il trouvait que je faisais trop de plans. Je voulais pouvoir être maître de mon montage, mais il préférait les plans à deux personnages.
Des plans cadrés, fixes, à l’américaine, pour avoir la mainmise sur le plan et ne pas être « trahi ».
C’est vrai que le montage est une trahison permanente pour les comédiens car c’est le cinéaste qui maîtrise le rythme, contrairement au théâtre ».
Les deux hommes sont également en désaccord sur le personnage interprété par Claude Rich :
« Il voulait que Claude joue dans le même registre que lui. Ma théorie était, au contraire, qu’il devait être distant, flegmatique face à l’expansion de Louis. Le contraste m’amusait. Pas Louis ».
Les conflits sont « sous-jacents jusqu’au jour où ils ont éclaté sur un détail. Sur le chapeau de la bonne !
Il voulait qu’elle porte un chapeau extravagant à partir du moment où elle devient baronne. La pauvre Dominique Page, qui jouait le rôle… Moi, je voulais lui mettre un chapeau normal… Il s’est fâché. A arrêté de tourner.
Il a fallu que le producteur vienne faire le plénipotentiaire. Ce fut le moment de crise. Le reste du temps, il faisait la gueule. Il n’était pas hostile. Juste fermé. Nous n’avons jamais pris un café ensemble.
Il faut tout de même imaginer son angoisse, mettez-vous à sa place, on vous dit : « Moteur, ça tourne, fais-nous rire maintenant ! » »
On attendait énormément de lui. Il fallait qu’il soit drôle. Et il savait bien que ce n’était pas si simple.
Quand la prise ne lui plaisait pas, qu’il était mécontent de lui ou d’un de ses partenaires, il trouvait un moyen de la faire cesser. Par exemple, il riait et… il détruisait la scène ».
Malgré ces difficultés, le film est un énorme succès.
Tant et si bien que la Gaumont pousse le réalisateur et l’acteur vedette à retravailler ensemble.
Souhaitant pouvoir mener à bien un projet plus personnel avec la Gaumont (Mon oncle Benjamin (1969)), Edouard Molinaro ne peut refuser et retrouve Louis de Funès sur le tournage d’Hibernatus :
« Un cauchemar dès l’écriture du film. Nous avons fait huit scénarios, que de Funès a refusés les uns après les autres.
Pire que ça : nous avons commencé le tournage sur la huitième adaptation, ou la neuvième, et, au bout de huit jours, il a décidé de revenir à… la première ! C’était une star, il était le patron.
Le tournage a été très tendu, en situation de paix armée.
Heureusement que Claude Gensac était adorable. Elle avait la même légèreté que dans ses rôles. Louis l’adorait.
Elle faisait le pont entre lui et moi. J’avais beau être en colère, un jour j’ai dû me détourner de la caméra tellement je riais en le regardant jouer la scène où il explique que sa femme a explosé parce qu’elle a trop mangé ».
Le réalisateur n’en peut plus et veut quitter le tournage.
Louis de Funès insiste pour qu’il termine le film.
Plus tard, malgré leurs désaccords professionnels, le comédien fera preuve d’une grande sollicitude à l’égard du cinéaste quand ce dernier perdra sa femme, Pierrette Carvallo (mère de leur fille Graziella), dans un accident d’avion pendant le tournage de Mon oncle Benjamin.
« Louis est venu à l’enterrement, il a été charmant ».
Edouard Molinaro a d’ailleurs une très jolie formule pour résumer les rapports entre eux deux :
« En fait, avec de Funès, nous formions un couple difficile, nous avons enfanté dans la douleur, mais nos bébés ne sont pas trop loupés.
Il tourne ensuite L’Emmerdeur (1970), première apparition au cinéma de François Pignon, le personnage culte de Francis Veber, incarné par l’excellent Jacques Brel (que Molinaro retrouve après Mon oncle Benjamin).
Jacques Brel ne lâche pas d’une semelle le pauvre Lino Ventura, tel le sparadrap du capitaine Haddock !
Grâce à ces succès, Molinaro peut concrétiser des films moins grand public comme La Liberté en croupe (1970) ou encore l’Ironie du sort (1974).
Entre temps, il tourne La Mandarine (1972) avec Annie Girardot, Philippe Noiret et surtout Marie-Hélène Breillat (sœur de la réalisatrice Catherine Breillat) qui devient sa seconde épouse.

Mais c’est bien évidemment avec La Cage aux folles (1978) que sa renommée explose, traversant même l’Atlantique, le film étant nommé aux Oscars dans la catégorie meilleur réalisateur, mais aussi meilleur scénariste et meilleur costume en 1980.

Il faut dire que la prestation de Michel Serrault est inoubliable.
Le film connaîtra d’ailleurs son remake américain avec Robin Williams et Gene Hackman dans les rôles titres en 1996, le vidéaste MrMeeea en parle très bien dans une vidéo ici.
Durant les années qui suivent, le travail d’Edouard Molinaro se concentre essentiellement sur le petit écran avec la réalisation de nombreux téléfilms :
retenons l’excellent Au Bon Beurre (1981) dans lequel Roger Hanin et Andréa Ferréol incarnent un couple de crémiers s’enrichissant sans vergogne durant l’Occupation.
Molinaro réalise aussi plusieurs épisodes de séries (H, Navarro, Le Tuteur…).
Côté cinéma, c’est toujours le théâtre qui l’inspire, il adapte Le Souper (1992), huis-clos entre Claude Brasseur et Claude Rich sous fond d’agonie du Premier Empire.
Citons enfin une biographie de Beaumarchais avec Fabrice Luchini dans le rôle titre.
Malgré un talent indéniable, cet amoureux de théâtre ne sera jamais considéré comme un véritable artiste, peut-être parce que lui-même n’a « jamais cru [en lui] comme auteur ».
Mais ce n’est pas parce qu’on n’écrit pas son film qu’on ne peut pas se l’approprier.
Heureusement, il reçoit, en 1996, le prix René Clair en récompense d’une carrière très prolifique et impressionnante, jalonnée de succès mérités.
Il meurt à Paris le 7 décembre 2013 à l’âge de 85 ans.
Sources :
Conférence du cinéaste à l’ESRA.
Fiche de l’artiste sur allociné et imdb.
Guillemette Odicino, Quand Édouard Molinaro racontait ses rapports difficiles avec Louis de Funès…, Hors Série Louis de Funès, Télérama, 12 janvier 2013 (lien).
52e cérémonie des Oscars 1980 (lien).
Fiche biographique du cinéaste sur whoswho.fr (lien).
Fiche biographique de Catherine Molinaro sur Allociné (lien).
Fiche biographique de Maurice de Canonge sur Allociné (lien).
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