Ozon ose enfin !

Aujourd’hui, François Ozon revient dans les salles et, mine de rien, c’est la première vraie sortie depuis la fin du confinement. D’ailleurs, cette crise peut-elle être inspirante pour le cinéma ?

« Pour l’instant, ça ne m’inspire pas du tout. Enfin, pas de choses positives », nous confie François Ozon que nous avons eu la chance de rencontrer, avec ses deux comédiens principaux, à Bordeaux.

C’est vrai qu’avec beaucoup d’amis réalisateurs, on s’est parlés pendant ce confinement, et tout le monde écrivait des films sur le passé, ils n’arrivaient pas à écrire sur le présent, on avait besoin de se projeter en arrière ».

Ce besoin de retour vers le passé s’exprime particulièrement dans son nouveau film Eté 85, une adaptation d’une de ses lectures de jeunesse signée de l’écrivain anglais Aidan Chambers.

On y suit le jeune Alexis durant ses vacances estivales au Tréport, en Normandie, au milieu des années 80.

Enfin, pas tout de suite.

On le découvre d’abord dans un couloir sombre emmené par un gendarme…

Quelque chose de grave s’est passé… Il va nous le raconter, directement, dans les yeux, avec un regard caméra.

Ce type de plan est traditionnellement banni car il brise le « quatrième mur », le fait de faire « comme si » la caméra (qui fait le lien avec le spectateur) n’existait pas.

Par ce procédé, Ozon nous implique directement aux côtés du personnage, on s’y attache presque immédiatement avec, en plus, ce petit parfum de mystère qui nous captive et nous donne envie d’en savoir plus. Ce désir est très bien renforcé par la construction en « puzzle » de l’intrigue qui permet de délivrer petit à petit les éléments du récit.

Mais poursuivons le voyage : le générique se déroule durant un magnifique travelling qui part de la plage pour arriver sur la ville, au son du tube In Between Days de The Cure.

Un choix pas si anodin qui va même déterminer le titre du film ! François Ozon raconte : « C’est un morceau que j’adore. J’ai été New Wave (sic), j’étais fan de New Wave anglaise, je voulais absolument ce morceau.

Cela a été un peu compliqué parce que, au début le film s’appelait Eté 84 (un peu en référence à Eté 42 de Robert Mulligan, et puis parce que je trouvais qu’Eté 84, c’était plus sexy.

Au moment du montage, on a contacté Cure et Robert Smith [le chanteur du groupe, ndlr] pour lui dire qu’on voulait acheter son morceau.

Il a mis du temps à nous répondre et quand [il l’a fait], il [nous] a dit : « non je refuse que vous l’utilisiez car ce morceau est sorti en 1985 et votre film s’appelle Eté 84…« .

Donc j’ai pris ma plus belle plume et lui disant que j’étais archi fan (sic), que j’étais prêt à changer mon titre, pour lui, pour avoir ce morceau et j’en ai profité pour renégocier le prix ! [rires] Et il a dit oui !

En fait, le film s’appelle Eté 85 grâce à Robert Smith ! » .

Robert Smith (pitchfork.com).

Ozon précise aussi, dans le dossier de presse, que cette chanson est « extrêmement joyeuse mais avec un fond mélancolique. Elle correspond à Alex, à sa découverte de la vie avec entrain mais aussi avec noirceur ».

Félix Lefebvre et Benjamin Voisin.

Le jeune Alex (brillamment interprété par Félix Lefevbre dont c’est le premier grand rôle au cinéma) est effectivement intéressé par la noirceur, (la mort en particulier), comme il le dit à un moment, mais pas dans une optique gothique ou suicidaire, juste intéressé par cette « thématique » si l’on peut dire.

Il se cherche comme tous les adolescents et a du mal à gérer ses émotions comme le montre la scène du bateau, au cours de laquelle il panique à l’approche d’un orage, panique qui le fait chavirer.

Ce naufrage l’amène à rencontrer le beau et mystérieux David (Benjamin Voisin) qui vient à son secours. Progressivement, l’amitié qui naît alors entre eux devient plus ambiguë…

Et là, on craint qu’Ozon ne fasse comme souvent, c’est à dire, qu’il ne reste à la surface de son sujet, mais non ! Il ose enfin aller au bout de la relation entre ses personnages.

Il fait même mieux : la relation amoureuse qu’il filme prend une dimension universelle, les choses se font naturellement, sans jugement, sans militantisme et on est emportés…

Les deux garçons développent une complicité incroyable à l’écran.

Cela s’explique par la semaine qu’ils ont passée ensemble au Tréport mais, comme l’explique Benjamin Voisin, ils ont eu plus de temps que cela : « 5 mois » entre le casting et le début du tournage, ce qui laisse effectivement beaucoup de temps pour apprendre à se connaître et pratiquer des activités ensemble comme « du bateau, de la moto, des restos »

Un privilège au cinéma. En effet, on a rarement autant la possibilité de préparer un rôle aussi longtemps à l’avance, avant le début d’un film.

Félix Lefevbre note même : « ce qui était amusant c’est que, sans s’en rendre compte, on a développé des schémas un petit peu « Alex-David »:

Par exemple, moi j’ai jamais fait de moto (…), [et Benjamin] m’a fait [faire] mes premières fois en moto [comme dans le film] ».

Plus généralement, Eté 85 développe un vrai propos, assez fort, une vision assez pessimiste de la relation amoureuse qui pousse le spectateur à réfléchir sur le sujet bien après la projection.

Malgré une gravité ambiante assez marquée, le long-métrage est parsemé de moments de comédie très agréables, notamment grâce au personnage de la mère de David, interprétée judicieusement de façon très « lunaire » par Valeria Bruni Tedeschi qui dégage une vraie drôlerie dans son ignorance de la vie de son fils.

Valeria Bruni Tedeschi et Felix Lefebvre.

Les dialogues sont riches aussi de nombreuses répliques percutantes (des punchlines comme on dit en bon français…).

Cette variété de ton a-t-elle amené à tourner plusieurs variantes des scènes pour avoir plus de possibilités au montage ?

« Sur certaines séquences, oui. Pas sur toutes les scènes. Il y a des scènes qui étaient claires dans le ton. Mais c’est vrai que le livre a ce côté un peu « on passe d’une émotion à l’autre » qui est très adolescent.

Quand on est adolescents, on adore rigoler et en même temps, passer à quelque chose de plus tragique. Ce changement de ton je trouve, correspond à la période de l’adolescence ».

Alex est quelqu’un d’entier, qui vit à fond ses émotions et sa relation avec David.

Il est fasciné par lui, c’est un véritable mentor pour lui.

Les personnages de mentors, Benjamin Voisin les connait : il était déjà très charismatique dans le film Un vrai bonhomme (2018) que nous avions déjà beaucoup aimé.

Le film travaillait la relation entre deux frères, Benjamin Voisin aidant le sien à s’affirmer.

Il nous confie d’ailleurs avoir revu le film pour « être sûr que [ses] instincts d’acteur allaient s’éloigner de ce [qu’il] avai[t] déjà fait parce que sinon c’est complètement inintéressant ».

En effet, même si les deux rôles se ressemblent, l’approche est totalement différente et le jeune comédien a très bien su l’appréhender.

Revenons maintenant au film d’Ozon et, plus précisément, sur l’aspect technique.

En effet, la photographie est à l’image de la relation Alex-David : très belle ; car le long métrage a été tourné en pellicule, le cinéaste nous explique ce choix :

« Quand on fait des films d’époque, je trouve que c’est important de retrouver la texture de la pellicule, là j’ai tourné en Super 16, le format dans lequel j’ai fait la plupart de mes courts métrages.

Au début avec mon chef opérateur, on était ravis parce que, dès qu’on est en gros plan, c’est absolument magnifique : les peaux, les couleurs sont différentes du numérique.

Après, dans les plans larges, c’était un peu plus compliqué parce qu’on se rend compte que tout est un peu flou… C’est pas très net.

On a tellement l’habitude aujourd’hui du numérique, une image extrêmement précise (y’a des profondeurs de champ incroyables) mais c’était différent. C’était un vrai choix, mais à un moment, on a vraiment flippé, on s’est dit : « est-ce qu’on fait les plans larges en numérique ? » et finalement, non ».

Un bon choix au final, en tout cas.

Mais avant de vous inviter à prendre votre DeLorean pour retourner en 1985, on doit vous faire part d’un petit bémol :

après une première partie réussie, le film perd sérieusement en intensité et s’étire un petit peu inutilement, même si, cette seconde partie est plus courte que dans le livre, le réalisateur nous déclare d’ailleurs « avoir un peu resserré tout cela ».

Malheureusement, cela ne se ressent pas vraiment mais ne doit pas vous dispenser de découvrir cette petite merveille, très au-dessus du tout-venant cinématographique français habituel.

La note d’Etats Critiques : 8/10

photos du film : © Jean-Claude_Moireau_2020_MANDARIN PRODUCTION_FOZ_France 2 CINEMA_PLAYTIME PRODUCTION_SCOPE PICTURES

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