Danielle Darrieux, le génie spontané.

L’actrice voit le jour à Bordeaux le 1er mai 1917.

À la mort de son mari et père de Danielle qui n’a que 7 ans à ce moment-là, sa mère devient professeure de chant et donne des cours à sa fille qui étudie également le violoncelle.

Très vite, mère et fille partent pour Paris et à 14 ans, le grand tournant survient déjà : l’adolescente passe avec succès une audition pour le film Le Bal (1931) de Wilhelm Thiele. Ce rôle lui donne l’opportunité de signer un contrat avec le producteur Marcel Vandal.

Les rôles d’ « ingénues » attachantes s’enchaînent dans des films comme Panurge (1932) de Michel Bernheim, Château de rêve (1933) de Géza von Bolváry ou encore Mon cœur t’appelle (1934) de Carmine Gallone.

Son naturel désarmant fait mouche, elle sent immédiatement ses personnages, au point de détester les répétitions :

« (…) j’ai eu horreur toute ma vie et même maintenant de répéter. Confie-t-elle d’ailleurs en 2007 sur Europe 1.

Dès qu’il y a des scènes d’émotion ou de drôlerie, je ne répète pas car sinon on perd tout. Le jeu total, il ne vient que quand la caméra tourne ou en scène quand le rideau se lève et que c’est le public ».

Ce génie de la spontanéité est même remarqué par deux figures d’Hollywood, Billy Wilder et Robert Siodmark qui l’embauchent respectivement sur leur films Mauvaise Graine et La crise est finie tournés en France en 1934.

En 1935, elle épouse le cinéaste Henri Decoin et devient sa muse.

Henri Decoin et Danielle Darrieux (Imdb).

L’année suivante, c’est la consécration internationale avec Mayerling d’Anatole Litvak dans lequel elle démontre que son talent ne se limite pas à la comédie.

Extrait du film (Chaîne 75ans/YouTube)

Les portes d’Hollywood s’ouvrent toutes grandes et la comédienne traverse l’Atlantique avec son mari pour parapher un contrat de 7 ans avec Universal.

Elle tourne alors sous la direction d’Henry Coster dans The Rage of Paris (bizarrement traduit par La Coqueluche de Paris en français) en 1938.

Mais la vie à l’américaine et surtout les conditions de son contrat ne lui plaisent guère et le couple décide finalement de rentrer en France.

Maurice Tourneur la fait tourner dans sa romance Katia mais elle enchaine surtout les projets avec son mari : Retour à l’aube (1938), Battements de cœur (1940) et surtout Premier rendez-vous (1941) qui met à l’honneur ses talents de chanteuse.

Gros succès durant l’Occupation, cette romance raconte la correspondance entre une jeune orpheline et un inconnu mystérieux.

Dans l’extrait qui suit Pierre (Louis Jourdan) se fait passer pour l’auteur des lettres adressées à la jeune fille.

Mais en vérité, le véritable auteur n’est autre que Nicolas (Fernand Ledoux), l’oncle du jeune homme.

Bien qu’aucune référence au contexte de guerre n’y soit faite, ce film est plus subversif qu’il n’y paraît : l’héroïne veut s’émanciper des règles de l’orphelinat et se retrouve à vivre chez un homme plus âgé (l’oncle)…

Ce long métrage marque la séparation et le divorce de Danielle Darrieux et Henri Decoin.

Cette année-là, elle rencontre le beau Porfirio Rubirosa, ambassadeur dominicain en en France, elle raconte dans L’Express en 1997 :

« J’étais follement amoureuse d’un diplomate étranger, un play-boy merveilleux qui s’appelait Porfirio Rubirosa. Demandez aux autres filles qui l’ont connu, elles vous répondront toutes qu’il était le charme incarné. C’était un homme courageux, adorable et qui possédait un grand cœur ».

Mais bientôt les choses se compliquent : il est arrêté et inculpé d’espionnage anti-allemand, avant de se retrouver incarcéré à Bad Nauhem au nord de Francfort.

Alfred Greven, le directeur de La Continental (société française de production de films, financée par l’Allemagne nazie) lui demande de se rendre à Berlin pour faire la promotion de Premier rendez-vous. Elle refuse.

Mais « il a commencé à me faire un chantage monstrueux, confie-t-elle. Me conseillant de ne pas oublier que ma mère vivait à Paris et qu’il pouvait très bien lui arriver quelque chose ».

Elle n’a plus le choix et se voit contrainte de monter à bord de ce qui sera appelé, 30 ans plus tard, « le train de la honte » dans le film choc et fleuve de Marcel Ophüls (fils de Max Ophüls que nous évoquerons plus loin), Le Chagrin et la pitié.

D’autres vedettes l’accompagnent : Albert Préjean, Suzy Delair, Junie Astor, ou encore Viviane Romance.

Ce voyage au cœur du IIIe Reich permet surtout à Danielle Darrieux de retrouver l’homme qu’elle aime grâce à un laissez-passer, obtenu en échange de sa coopération.

Une fois son fiancé libéré, elle rompt son contrat avec La Continental et refuse tout nouveau contrat malgré l’insistance de Greven.

En représailles, il interdit à la presse de parler d’elle et de publier ses photos.

Danielle Darrieux et Porfirio Rubirosa se marient à… Vichy en 1942. Là encore, la comédienne devra se justifier :

« Cela ne signifiait rien pour moi. Vichy était une mairie comme une autre ».

Porfirio Rubirosa et Danielle Darrieux à la Marie de Vichy en 1942 (Le HuffPost/GAMMA-KEYSTONE VIA GETTY IMAGES).

Le bureau d’épuration ne manque pas de l’interroger à la Libération pour faire la lumière sur son éventuelle collaboration avec l’Occupant. Sur la question, elle aura deux affirmations contradictoires, à douze ans d’intervalle :

D’abord, dans l’interview de L’Express déjà citée, elle explique :

« J’ai été convoquée par un service d’épuration. Devinez qui ils avaient engagé ? Henri Decoin [son ex-mari qui l’avait poussée à travailler pour la Continental]. Il a été tellement surpris de me voir qu’il a immédiatement réglé le problème en haut lieu. C’était soi-disant une formalité… Je suis donc repartie comme j’étais venue et on ne m’a plus jamais rien demandé ».

Avant de finalement déclarer en 2009 au Monde :

« On m’a traitée de collabo, j’ai dû me justifier plus de cent fois devant le bureau d’épuration ».

Les souvenirs se mélangent après toutes ces années. Sans la possibilité de consulter les archives, difficile de savoir la vérité. Aux historiens de trancher.

Ce qui est sûr, c’est qu’elle a arrêté de travailler pour La Continental dès que possible et, qu’au sortir de la guerre, elle peut reprendre sa carrière.

Ainsi, en 1947, elle joue aux côtés de Jean Marais dans Ruy Blas. Côté vie privée, elle divorce de Rubirosa.

L’année suivante, elle rencontre et épouse le scénariste Georges Mitsinkidès.

Le succès frappe à nouveau à sa porte grâce à Occupe-toi d’Amélie ! (1949) de Claude Autant-Lara, comédie virtuose qui joue subtilement avec la frontière entre cinéma et théâtre, en nous offrant quelques mouvements de caméra impressionnants.

On pense par exemple à la séquence d’ouverture et ce travelling arrière qui nous montre un personnage longuement courir vers nous durant tout le générique.

Victor Guyau court vers la caméra dans Occupe-toi d’Amélie !

Le début des années 50 marque un nouveau tournant dans la carrière de Danielle Darrieux, grâce à sa rencontre avec Max Ophüls (père de Marcel) qui lui offre des rôles marquants dans La Ronde (1950), Le Plaisir (1951), et bien évidemment dans Madame de (1953) où elle incarne un modèle de Parisienne élégante et frivole à la fois. Son rôle préféré.

Le cinéaste lui aurait présenté le personnage de la jolie façon suivante :  « Vous devrez, armée de votre beauté, votre charme et votre élégance, incarner le vide absolu, l’inexistence. Vous deviendrez sur l’écran le symbole même de la futilité passagère dénuée d’intérêt. Et il faudra que les spectateurs soient épris, séduits et profondément émus par cette image ».

Max Ophüls (Imdb).

À la même période, elle retrouve Henri Decoin pour La Vérité sur Bébé Donge (1951), une adaptation de Georges Simenon dans laquelle, elle interprète magnifiquement une épouse meurtrière, désabusée par le mariage et les constantes infidélités de son mari Jean Gabin…

La froideur qu’elle développe tout au long du film est juste fascinante.

La même année marque également ses retrouvailles avec Hollywood, aux côtés de James Mason devant la caméra de Joseph L. Mankiewicz dans L’Affaire Cicéron.

Dans ce film d’espionnage plutôt bien mené, Danielle Darrieux montre autant d’aisance en anglais que dans sa langue maternelle.

Sacha Guitry l’embauche pour ses deux projets semi-historiques ambitieux Napoléon (1954) et Si Paris nous était conté (1955).

Amoureuse de la Bretagne, elle achète en 1954, la petite île de Stibiden dans le golfe du Morbihan. Elle en parle d’ailleurs dans cette archive de l’INA.

Au cinéma, l’actrice enchaîne les adaptations littéraires avec Le Rouge et le Noir (1954), adaptation fleuve de Claude Autant-Lara, film dans lequel elle donne la réplique au beau Gérard Philipe, il y a ensuite L’Amant de Lady Chatterley réalisé par Marc Allegret et enfin Pot-Bouille (1957) de Julien Duvivier.

Cette même année, le petit Mathieu voit le jour, il sera adopté par la comédienne et son mari.

Julien Duvivier ne l’oublie pas et fait de nouveau appel à elle pour Marie-Octobre (1959), sublime huis-clos entre ex-résistants qui se retrouvent quinze ans après la Libération pour tenter de démasquer celui ou celle qui les a trahit et qui est responsable de la mort de leur chef de réseau…

La tension monte progressivement grâce à des dialogues qui sonnent extrêmement justes, à la fois drôle et percutants.

Comme Duvivier, la jeune génération de cinéastes apprécie le jeu tellement naturel de celle qui prête ses traits à Marie-Octobre : Henri Verneuil et Gérard Oury la choisissent tous deux, en 1961, pour jouer dans leurs films respectifs (Les Lions sont lâchés et Le crime ne paie pas).

Elle participe également quelque peu à La Nouvelle Vague en tournant pour Claude Chabrol (Landru en 1963) et le spécialiste français de la comédie musicale, Jacques Demy, profite de ses talents de chanteuse dans Les Demoiselles de Rochefort (1966), c’est d’ailleurs la seule actrice du film non doublée dans les scènes chantées.

Mais dans l’ensemble, le mouvement ignore honteusement son talent…

Les années qui suivent sont plus calmes, Danielle Darrieux privilégie davantage le petit écran.

Très active sur les planches, elle participe à l’émission culte Au théâtre ce soir qui diffuse la pièce Folie Douce en 1973, qui lui donne l’occasion de donner la réplique à Michel Roux, la voix française de Tony Curtis dans la série culte Amicalement Votre (1971).

Vous pouvez même voir le spectacle en intégralité ci-dessous si vous le souhaitez.

Chaîne Ina Au Théâtre Ce Soir 1961 – 1981/YouTube

Anecdote amusante, sa compatriote bordelaise Geneviève Fontanel s’est également produite dans l’émission aux côtés de Michel Roux mais dans une autre pièce.

Dans les années 80, Danielle Darrieux œuvre pour de grands noms, d’abord André Téchiné (Le lieu du crime en 1985), puis Benoit Jacquot (Corps et Biens en 1986) et Claude Sautet (Quelques jours avec moi).

Entre temps, Jacques Demy travaille de nouveau avec elle pour son film entièrement chanté Une chambre en ville (1982).

La décennie 90 est difficile sur le plan personnel, son mari décède en 1991 et elle perd également son fils Mathieu qui disparaît à 40 ans à peine en 1997…

Elle tourne malgré tout dans Ça ira mieux demain (1999) de Jeanne Labrune.

Au début des années 2000, elle revient sur le devant de la scène dans l’excellent 8 femmes de François Ozon, sorte de Cluedo musical au casting 5 étoiles.

Suivent ensuite Une vie à t’attendre (2004) de Thierry Klifa avec Nathalie Baye et Patrick Bruel, Nouvelle Chance (2005) d’Anne Fontaine qui l’a fait croiser Arielle Dombasle, et enfin le film d’animation Persepolis (2007) signé Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud.

Elle tire sa révérence avec un dernier rôle dans L’Heure Zéro de Pascal Thomas, adaptation du roman éponyme d’Agatha Christie en 2010.

Cependant, elle sort brièvement de sa retraite en 2016 pour assurer une voix-off sur le court-métrage hommage Tournons ensemble Mademoiselle Darrieux d’Emmanuel Vernières.

Elle s’éteint centenaire le 17 octobre 2017 dans sa belle longère normande à Bois-le-Roi, aux côtés de son dernier compagnon, Jacques Jenvrin.

Relecture : Paul Lalange

Sources :

Image d’en tête : tv-direct.fr

Bibliographie

Clara Laurent, Danielle Darrieux, une femme moderne, Hors Collection, 2017.

Fiches des artistes et personnalités

Danielle Darrieux sur Allociné et Imdb.

Olivier Sinqsous, Danielle Darrieux, Cinéartistes.com (lien).

Caroline Hanotte, Henri Decoin, Cinéartistes.com (lien).

Georges Mitsinkidès, Généalogie Magazine (lien).

Articles encyclopédiques

Danielle Darrieux, Encylopédie Larousse (lien).

Alain Garel, Darrieux Danielle (1917-2017), Encyclopædia Universalis (lien).

Articles de presse

Adrien Léger, Décès de Danielle Darrieux : elle était « terrorisée » par la mort, Linternaute.com, 19/10/2017 (lien).

Annabel Benhaiem, Danielle Darrieux se sera défendue toute sa vie d’être montée dans le « train de la honte », huffingtonpost.fr, 19/10/2017 (lien).

Alexandre Frémont, [BUZZ] L’île bretonne de Danielle Darrieux, la Drivapp à Locminé et les villes bretonnes autrement avec Evan de Bretagne, France Bleu Armorique, 20/10/2017 (lien).

Fabien Randanne, VIDEO. Mort de Danielle Darrieux: Cinq films à (re)voir de toute urgence, 20minutes.fr, 19/10/2017 (lien).

Lili Barbery-Coulon, L’icône : Porfirio Rubirosa, l’envoûteur distingué, lemonde.fr, 25/01/2013 (lien).

Emissions de radio et de télévision

Guillemette Odicino, On s’fait des films, France Inter, 08/08/2018 (lien).

Eve Ruggieri, Carte Blanche, Antenne 2, 08/08/1990, ina.fr (lien 1 et lien 2)

Sujet du 13 h 00, France 2, chaîne Franceinfo, Dailymotion, 19/10/2017 (lien).

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