René Jean Bayle, plus tard connu sous le nom de René Clément, naît à Bordeaux le 17 mars 1913.
Fils d’un père décorateur, il est fasciné dès ses quatre ans, par ce qu’on appelait alors les « images projetées », et à 9 ans, c’est la découverte de la pellicule. Bien plus tard, il marche dans les pas de son père en entrant aux Beaux-Arts pour suivre une formation d’architecte.
Il expérimente à cette époque pour la première fois la réalisation avec le dessin animé César chez les Gaulois (1931).
La mort de son père l’oblige à abandonner ses études, il entre alors au service cinématographique des armées pour subvenir aux besoins de sa famille.
En 1934, il rencontre Jacques Tati, avec qui il collabore sur un film burlesque en deux bobines : Soigne ton gauche qui sort en 1936.
Mais c’est véritablement dans le court-métrage que le jeune homme fait ses armes avec une production pour le moins prolifique (une douzaine de films réalisés entre 1936 et 1944 !).
Au milieu de cette profusion, retenons La Grande Pastorale (1943), Chefs de demain (1944) et Ceux du rail (1944). Ces trois exemple bénéficient de l’expertise technique et des éclairages d’Henri Alekan, directeur de la photographie et figure du milieu, surnommé le « magicien de la lumière ».

Mais c’est surtout Ceux du rail qui marque les esprits. A tel point que le Comité de Libération du Cinéma (qui gère la production cinématographique du pays de 1944 à 1946) le charge d’en faire un long-métrage. C’est chose fait avec La Bataille du Rail (1946). Véritable hymne à la Résistance des cheminots, le film est salué pour sa puissance évocatrice et sa mise en scène réaliste.

C’est oublier un peu vite que le film idéalise la Résistance en éludant totalement la collaboration, avec des partis pris purement artistiques : on pense en particulier à la scène montrant les derniers instants des cheminots ponctuées des « lamentations » des locomotives, au moment de leurs exécutions, qui n’a pas de réalité historique, Clément dit lui-même qu’il a inventé les sifflets. Il va même jusqu’à dire que « tout est faux » dans ce film ! Pour lui, ce long-métrage à un « film d’art » et qui dit art dit artifice…
On parle de néoréalisme. La Bataille du Rail n’en reste pas moins un chef-d’oeuvre, justement récompensé par le Prix du Jury à Cannes, en 1946.
Clément a d’ailleurs une actualité chargée cette année-là sur la Croisette, en ayant participé à la production de pas moins de trois films de la sélection : La Bataille du Rail bien sûr, Le Père Tranquille (aussi en tant que réalisateur) et surtout La Belle et la Bête de Jean Cocteau.
Il intervient sur ce film en tant que conseiller technique. Cocteau à l’affût des nouveaux talents l’avait repéré bien avant La Bataille du rail, René Clément raconte d’ailleurs dans l’émission Parlons cinéma (en 1976), qu’il travaillait le matin sur les rushs de son film et la journée sur le plateau de La Belle et La Bête ! Il apprend énormément aux côtés du Maître avec qui il était « en communion totale », absorbant tout « comme une éponge »…

Cette symbiose entre les deux artistes se concrétisera plus tard pour Clément dans Le Château de verre (1950) qui lui permettra de rendre hommage au compagnon de Jean Marais.
Quant au Père Tranquille, il le réalise à la demande de Lucien Noël, dit Noël-Noël. L’acteur y incarne un Français moyen qui devient chef de réseau, mettant ainsi en scène le mythe d’une France résistante dans une pays qui avait bien besoin de cela au sortir de la guerre pour se reconstruire moralement.

En 1948, nouveau succès à Cannes avec Au delà des grilles qui marque le retour de Jean Gabin au pays après un exil aux Etats-Unis pendant la guerre.
René Clément poursuit d’ailleurs son exploration de la thématique guerrière avec Les Maudits qui raconte la fuite de rescapés nazis vers L’Amérique du Sud à bord d’un sous-marin, mais surtout Jeux Interdits (1952), son œuvre la plus poignante et dérangeante sur les conséquences d’un tel conflit sur deux enfants, brillamment interprétés par les très jeunes Georges Poujouly et Brigitte Fossey (ses premiers pas à l’écran marquent le début d’une belle carrière pour elle).
Le film porté par la musique inoubliable de Narciso Yepes obtient des prix à Cannes et Venise en 1952 et à Hollywood en 1953.

La même année, Clément dirige Gérard Philipe dans Monsieur Ripois (d’après un roman de Louis Hémon) en Angleterre, simultanément en anglais et en français. Sur ce tournage, il expérimente différentes techniques comme la caméra cachée (dans du papier journal), ou encore des travelling en landau (en « voiture d’enfant » comme il le dit lui-même).
Pendant le tournage, il développe une grande complicité avec Philipe : « Finalement Ripois était entré dans notre vie raconte-t-il, (…) nous discutions des scènes ensemble (…), on méprisait ce type [Ripois] qui était notre ennemi personnel, qui venait nous visiter comme un fantasme la nuit (…) et quand on arrivait sur le plateau le matin, les techniciens ne comprenaient absolument pas ce qu’on faisait ! (…) » avant de voir finalement le personnage se créer littéralement sous leurs yeux…

Par la suite, le cinéaste poursuit les adaptations littéraires avec Gervaise qui s’inspire de l’Assommoir d’Emile Zola et Barrage sur le Pacifique d’après Marguerite Duras, qui déplait à son auteur, car prenant trop de libertés à son goût par rapport au texte.
Mais c’est surtout avec Plein Soleil (d’où le titre de notre article !), l’adaptation de Monsieur Ripley de Patricia Highsmith, véritable chef-d’oeuvre du polar (qui consacre un certain Alain Delon), que Clément rencontre un succès international.
L’auteur du roman original déclare même que c’est son adaptation préférée devant L’Inconnu du Nord-Express (1951) d’Alfred Hitchcock, une autre réalisation d’un de ses romans !
Il est vrai que ce huis-clos sur un voilier est absolument parfait pour la mise en scène et le jeu des acteurs, un alignement des planètes dont tout réalisateur ou critique de cinéma rêve…

Il retrouve Alain Delon dans Quelle joie de vivre (1961), œuvre anti-fasciste tournée en Italie, puis dans Les Félins (1964), et comment ne pas citer la super-production internationale Paris brûle-t-il ? (1966) qui marque le retour de Clément vers l’un de ses genres de prédilection pour reconstituer la libération de Paris avec le concours de la Préfecture de Police qui y voit un bon moyen de redorer son blason…

Cette film ambitieux finit d’installer la solide réputation dont le cinéaste jouit outre atlantique et lui permet d’embaucher des stars comme Charles Bronson pour le Passager de la Pluie (1970) ou Faye Dunaway pour La Maison sous les arbres (1971).
L’année suivante, il dirige Jean-Louis Trintignant dans La Course du lièvre à travers champs et signe un dernier film La Baby-sitter en 1975.
il fait partie des membres fondateurs de l’Institut des Hautes Etudes Cinématographiques (IDHEC) finalement rattaché à la Femis (célèbre école de cinéma parisienne) en 1986. Cette même année, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts.
Le cinéaste bordelais s’éteint dix ans plus tard à Monaco, le 17 mars 1996 juste avant son 83 anniversaire.
En dépit d’avoir légué plusieurs chefs d’oeuvre au cinéma français, René Clément reste un cinéaste injustement sous estimé et oublié.
La faute à une nouvelle génération (La Nouvelle Vague, merci François Truffaut…) qui l’a longtemps honteusement considéré comme un simple réalisateur académique, niant totalement la virtuosité extraordinaire qui caractérise tant ses films. L’échec de ses dernières réalisations n’a pas non plus aidé à inscrire son travail dans la mémoire collective.
Heureusement, il n’est jamais trop tard pour réparer une injustice et garnir nos vidéothèques de ses œuvres.