Le 19 mai dernier a été marqué par deux beaux événements : d’abord la réouverture des salles, cela fait immensément plaisir de retrouver « la maison » quand on est cinéphiles ! L’autre événement majeur était la sortie d’un film de science-fiction… français !
Et Dieu que c’est (trop) rare sur nos grands écrans !
En effet, le cinéma de genre (qui « regroupe » des films à la thématique très marquée et qui sont souvent moins « grand public ») hexagonal a souvent du mal à exister, voire même, à naître, tant les producteurs (chaînes de télé et autres) ont dû mal à sortir du « tout comédie » qui domine l’essentiel des projets mis en production chaque année…
Ce qui est un comble pour le pays qui a quasiment « crée » la science fiction avec des maîtres tels que Jules Verne, René Barjavel, Pierre Boulle ou même le célèbre magazine Métal Hurlant qui a permis à de nombreux auteurs du genre d’éclore dans les années 70-80 !
Peut-être sommes-nous prisonniers depuis plus de 50 ans dans la matrice créée par le chef d’œuvre de Gérard Oury La Grande Vadrouille (1966) qui a montré que la comédie pouvait être un genre « noble » et surtout qu’elle était capable d’attirer beaucoup de monde dans les salles (cet aspect étant quand même à relativiser, étant donné qu’il y avait beaucoup moins de cinémas existant il y a un demi siècle).
Néanmoins, cette tendance n’a eu de cesse de se confirmer dans les décennies suivantes et elle est devenue progressivement majoritaire avec l’entrée dans la danse des chaînes de télévision dans le processus de production des films, suite à la promulgation de « l’obligation de contribution des chaines au développement de la production (…) d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles » dans le cadre la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 (décret d’application n° 90-66 du 17 janvier 1990).
En conséquence, comme je l’ai déjà expliqué plusieurs fois ici, les chaînes vont chercher à produire des films « rentables » pour elles, qui attirent un maximum de spectateurs et surtout, qui soient très familiaux pour être diffusables à 20 h 50 (enfin plutôt 21 h 15 désormais, merci Hanouna…), sans faire hurler le CSA…
On privilégie donc le casting avec des comédiens ou des comédiennes populaires, peu importe le scénario, la mise en scène, la réalisation etc…
Heureusement, des cinéastes cherchent à sortir de ce schéma (voyez Dans la Brume (2018) de Daniel Roby absolument !)
Romain Quirot est de ceux-là et tente la chose dès son premier long métrage ! Rien que ce choix est courageux et doit être salué.
Pour ce faire, il part de son second court métrage intitulé Le Dernier voyage de l’énigmatique Paul W.R. (2014) qui a connu une belle carrière dans les festivals et a même bénéficié d’une nomination aux Oscars.
Ce fameux Paul W. R. (Hugo Becker (photo), qui était d’ailleurs juré au dernier Festival Européen du Court Métrage de Bordeaux) est en fait un astronaute mais pas n’importe lequel : le seul espoir de l’humanité face à une mystérieuse lune rouge qui menace la Terre… oui mais voilà, il ne veut pas assumer cette responsabilité et fuit sans cesse les autorités…
Visuellement, le film est très beau ! C’est véritablement la première chose qui frappe : les plans sont extrêmement bien travaillés et posés, avec un gros travail sur le premier plan de l’image, un aspect du cadre souvent assez peu valorisé car considéré comme tellement « évident » qu’on n’a pas besoin d’y apporter plus de soin que cela…
Les mouvements de caméras, en particulier les travellings, sont judicieux et enrichissent les plans d’ensemble, très soignés, cela donne beaucoup d’ampleur à un univers qui dévoile sa dimension futuriste par petites touches, savamment dosées (voitures volantes, personnages en combinaison, hologrammes…).
Les incrustations (tour Eiffel détruite et bien sûr la fameuse Lune Rouge) sont très bien intégrées à l’image et sont crédibles.
Les interprètes, le trio principal en particulier (Hugo Becker, Lya Oussadit-Lessert, Paul Hamy), est excellent.
Pourtant, en dépit de tout ce terreau favorable, l’ensemble ne fonctionne pas…
Tout simplement, parce que Romain Quirot cède, comme beaucoup d’autres avant lui, aux « sirènes de l’intimiste à la française »…
Une fois encore, la dimension SF du récit est très vite balayée par les problèmes existentiels du héros…
Comme si le réalisateur s’excusait auprès des producteurs et des spectateurs de faire de la science-fiction et nous chuchotait : « bon, mon film est peu différent mais ne vous inquiètez pas, je reviens très vite aux fondamentaux »…
Encore un film de genre français qui ne s’assume pas… C’est cela, le « problème » dont je pense humblement qu’il est le « symptôme ».
Même le merveilleux Dans la Brume, que j’ai évoqué plus haut et dont j’ai même chanté les louanges sur Facebook à l’époque, bien que très audacieux comparé à la moyenne des productions hexagonales, restait assez timide, notamment dans sa représentation de la mort (pas de sang).
Pour ne rien arranger, sa faible distribution (nombre de copies disponibles pour les cinémas du pays) ne lui a pas donné la possibilité de rencontrer le succès qu’il aurait mérité.
Dès lors, le serpent se mord la queue : pas de succès donc pas de financement pour des projets similaires ou qui prendraient des risques, comme je l’ai un peu explicité au début de ce billet.
Pourtant l’essence du cinéma, c’est d’oser !
Les financeurs de l’industrie doivent vraiment soutenir les réalisateurs et réalisatrices qui veulent créer de nouveaux mondes que seul le cinéma peut faire vivre aussi bien et aussi intensément.
L’émergence de cinéastes talentueux aux univers très forts, comme Julia Ducournau (Grave (2016), Titane (2021)) ou Mathieu Turi (Méandre (2020)) prouve que c’est possible !
Alors Messieurs Dames, les producteurs et productrices… foncez !
sources :
Image d’en tête : © Tandem Films
fiches films
Le Dernier Voyage, section secrets de tournage, allocine.fr (lien).
Méandre, allocine.fr (lien).
Fiche artiste
Julia Ducournau, allocine.fr (lien).
Article de blog
Actualités juridiques, Obligations de production des chaînes de télévision, statutsdesarl.wordpress.com, 11/02/2011 (lien).
Site institutionnel
Les obligations de diffusion des œuvres cinématographiques, cnc.fr (lien).
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